====== Injustice de l’Islam postcolonial ======
13-15 mai 2023, à développer…
==== Remarques sur les termes ====
- La notion d’//injustice postcoloniale// est évidemment différente de l’//injustice coloniale//. Je n’utilise pas le terme postcolonial[[fr:glossaire#postcolonial|*]] (voir glossaire) pour pointer la continuation du colonialisme dans le présent, mais pour pointer l’ordre mondial instauré après 1945, avec sa règle du jeu implicite concernant l’usage des sciences sociales.\\ Pour être tout à fait clair, j’introduirai plus loin un Islam néocolonial et un Islam décolonial, dont je donnerai les « portraits-robot ». Deux Islams qui se donnent pour ennemis mais qui sont en réalité complices, et qui constituent ensemble //l’Islam postcolonial//. Face à eux, un Islam du //fair play// laïque tente laborieusement d’exister sur le terrain.
- Dans tous les cas, je parle de l’Islam[[fr:glossaire#islam|*]] avec une majuscule (voir glossaire) : non pas de l’islam comme religion, mais de l’Islam-manifestation sociale, telles que les sciences sociales sont susceptibles de l’appréhender à une époque donnée.\\ Dans une communauté musulmane digne de ce nom, consciente de ses responsabilités dans le monde, les sciences sociales pourraient avoir cette fonction critique : démasquer l’Islam-manifestation sociale de notre temps, qui fait écran à l’islam véritable, l’islam-religion. Mais cela impliquerait de porter un regard unifié sur l’Histoire, capable de tenir ces deux fils à chaque époque - Islam et islam - par une évaluation rétrospective et honnête de leur superposition.((La démarche d’[[fr:explorer:auteurs:ovamir_anjum|Ovamir Anjum]], dans son ouvrage //The Taymiyyan Moment// (Cambridge University Press, 2012), devrait avoir valeur d’exemple pour les historiens et les sciences sociales.)) Au lieu de cela, il n’y a qu’une bataille de chiffonniers : les uns affichant ostensiblement leur rigueur académique, pour masquer leur incompréhension (Islam néocolonial) ; les autres affichant ostensiblement leur orthodoxie religieuse, pour masquer leur inculture (Islam décolonial). D’un côté comme de l’autre, les approches de l’Histoire sont usées jusqu’à la corde, et particulièrement grossières.
Nombreuses sont les bonnes volontés malgré tout : pas tant dans les sciences sociales, je le regrette, mais surtout sur le terrain, dans ces associations musulmanes, qui sont systématiquement pointées du doigt ces dernières années. Dans chacune de ces associations, il existe des personnes conscientes, qui tentent d’enseigner avec honnêteté, avec leurs mots et les compétences qui sont les leurs, mais toujours le sens des situations, et c’est le plus important.\\
Dans cet effort collectif, ma contribution consistera en la présentation d’une situation contemporaine, susceptible de mettre en lumière les conséquences bien réelles de cette injustice postcoloniale, en s’adossant aux méthodes de l’ethnographie multi-située.
==== Injustice et passage à l’acte ====
Rappelons d’abord que ces considérations sont la continuité de mon projet de recherche de novembre 2008, [[fr:comprendre:textes:academia:prix_michel_seurat|Prix Michel Seurat du CNRS]], qui était intitulé : //« Le miel sur le rasoir. Une ethnographie du jeu et du fantasme dans la sociabilité masculine de l’urbanisation yéménite »//.
La différence avec 2008 - outre le recul des évènements survenus depuis - c’est que j’ai fini par rendre public le nœud de mon premier terrain ([[fr:comprendre:moments:#octobre 2003]]), que j’étais totalement incapable d’évoquer à l’époque. Depuis [[fr:comprendre:moments:#décembre 2017]], j’ai adopté une écriture publique, qui m’a permis de le retravailler à de nombreuses reprises. Malgré le caractère impudique d’un tel comportement, en apparence, je prie le lecteur de bien vouloir en comprendre la rationalité.
Le passage à l’acte d’octobre 2003 était //déjà// le constat d’une injustice structurelle, que je ne savais pas encore nommer, l’injustice qui m’a attaché à cette famille. La même injustice structurelle que j’ai vue à l’œuvre ensuite (2007-2013), dans l’impossible réception de cette recherche. Le caractère délicat des thématiques abordées ne suffit pas à l’expliquer, ni telle ou telle circonstance particulière : je suis aux prises depuis le départ avec un obstacle structurel, qu’il me semble maintenant pouvoir cerner.
==== Une clé de lecture de ce wiki ====
La notion d’//injustice postcoloniale// que je présente ici, constitue une clé de lecture à tout ce que j’essaie d’exposer sur ce site. En effet, voilà le drame personnel (voir [[fr:atelier:islam:ziad|Préambule sur Ziad]]) que je porte depuis quinze ans : l’absence de réception de mon histoire au Yémen (1), par la communauté musulmane en France (2), à laquelle j’ai trouvé des explications dans l’Histoire (3). Dans chacune des trois sections de ce wiki, j’ai développé une certaine configuration, résumée par un [[fr:code couleur]]. //L’injustice de l’Islam postcolonial// est leur fil conducteur.
| **Terrain au Yémen**\\ ([[fr:comprendre:]]) | **Société française**\\ ([[fr:explorer:]]) | **Histoire des idées**\\ ([[fr:valoriser:]]) |
| Quartier\\ Commerçants\\ Carrefour | France des diplômés\\ France postcoloniale\\ France Gilet Jaune | Grèce\\ Islam\\ Europe |
[[fr:explorer:propositions:bernard-l_ermite|{{ :fr:comprendre:images:schemas:bernard-anemone-anote.jpg?100|Schéma tricolore, représentant un Bernard-l'ermite (l'Europe) dans sa coquille (Aristote), blotti contre une anémone de mer (l'Islam).}}]]
__Remarque : relativité de la matrice monothéiste__\\
Dans la dernière colonne du tableau ci-dessus, on constatera que l’attribution des couleurs peut varier selon le contexte, et surtout les lecteurs auxquels je m’adresse. Dans les sections publiques de ce wiki, l’islam est souvent colorié en vert, puisqu’il s’agit de faire exister un point de vue musulman dans un espace laïque dominé par la dialectique dite « judéo-chrétienne » (en fait plutôt une dialectique entre le paganisme du logos et le monothéisme - voir ci-contre la métaphore du Bernard l’Ermite). Par contre dans l’atelier islam, je m’exprime en interne à la communauté musulmane française, du coup c’est l’Europe qui se retrouve en vert, avec les Gilets Jaunes et les ouvriers journaliers du carrefour : une Europe qui serait en fait //victime// d’une histoire des idées dominée par l’Islam.\\
Cette perspective est sans doute iconoclaste, mais en tant qu’anthropologue converti, je ne vois pas comment j’aurais pu en construire une autre. Je ne me suis pas converti pour rejoindre les victimes de l’Histoire, mais pour en rejoindre les acteurs. Et de fait, il me semble que ce point de vue manque au débat.
De formation je ne suis pas historien des idées, ni philosophe, ni spécialiste des textes anciens : je suis ethnographe. La seule ressource dont je dispose pour établir scientifiquement mon point de vue, est de faire valoir la cohérence d’un positionnement ethnographique multi-situé, à la manière d’un //circumstantial activist// : l’intelligibilité du monde au prisme de mon engagement ([[fr:comprendre:voie ethnographique]]).
==== Injustice et ethnographie ====
Cette idée d’injustice est importante pour moi, parce qu’elle sous-tend la légitimité des sciences sociales à mes yeux. Je ne suis pas un positiviste des sciences sociales, je ne crois pas que leur légitimité aille de soi. Au regard de la science islamique, l’ethnographie relèvera toujours d’une forme de poétique((« De la poétique de l’ethnographie à une anthropologie globale », ou l’ethnographe comme //[[fr:atelier:methodologie:circumstantial_activist|circumstantial activist]]//.)), aussi rigoureuse qu’elle puisse et qu’elle //doive// être. Mais justement, le Coran ménage une légitimité à ce type d’intervention :
//« [224] Quant aux poètes, ce sont les égarés qui les suivent. [225] Ne vois-tu pas qu’ils errent au gré de leurs caprices, [226] et qu’ils se vantent de choses qu’ils n’ont jamais accomplies ? [227] Excepté ceux d’entre eux qui ont la foi, qui pratiquent le bien, qui invoquent fréquemment le Nom de Dieu __et qui se servent de leurs poèmes pour se défendre quand ils sont agressés__. Les agresseurs apprendront un jour quel sort funeste les attend ! »// ([[fr:theologie:coran:026:224|Coran 26:224]])
Mon échec jusqu’à aujourd’hui vient peut-être de ce que je n’ai pas su articuler l’injustice subie //à la première personne//. Il a toujours été beaucoup plus facile de me focaliser sur celle subie par mes interlocuteurs, du fait de mon enquête. Toute ma thèse s’est effondrée ainsi, dans les années qui ont suivi ma conversion, sur la contemplation méthodique des conséquences de mon irruption - cette petite histoire servant de microcosme au destin politique du pays, qui était en train de se jouer sous nos yeux. Mon travail est ainsi devenu une sorte de confession rituelle, //la Passion du Christ Ziad//, qui repoussait mes interlocuteurs académiques autant que la Communauté.
Pour sortir de cette impasse - le Yémen ayant fini entre temps par toucher le fond, vers décembre 2017 - j’ai voulu affronter le nœud d’octobre 2003, sur lequel j’ai écrit systématiquement depuis. Là encore, le récit faisait métaphore d’une situation plus large : de mon statut de « petit blanc » converti au sein d’une Communauté insensible à mon drame, et plus généralement des rapports de l’Islam à la société française. Mais comme cette écriture était publique, comme je n’écrivais pas spécifiquement pour la Communauté (n’ayant jamais pu trouver d’interlocuteur, et ne voulant pas embêter les gens…), tout cela restait implicite. Si bien que jusqu’à aujourd’hui, je n’ai pas encore su articuler //l’injustice subie par moi//.
==== Qualifier l’injustice d’octobre 2003 ====
Premier jet du 13 mai, pas encore satisfaisant\\ => [[Waddah|Waddah ou la République des Lézards]] (reprise du 17 mai)
//« Si j’étais prêt à essayer ça, je refusais pour autant de me retourner… »//\\
Dans mon [[fr:comprendre:voie_ethnographique|dernier récit]] de cette scène (que j’ai déjà décrite des dizaines de fois), cette phrase sonne particulièrement juste à mes yeux. Elle dit l’état d’ignorance initial de l’ethnographe, qui peut maîtriser quantité de savoirs scientifiques ou de culture générale (//« Il est une bibliothèque ! »//, disait de moi Ziad…), mais qui ne sait pas bien ce qu’il veut au fond de lui, et reste inquiété quelque part de son « orientation sexuelle ».((De là à réduire mon enquête à cette inquiétude sous-jacente quant à « mon homosexualité » ou ma « non-homosexualité », il y a un pas, que notre époque ne peut s’empêcher de franchir. De même, on dit de [[fr:explorer:auteurs:michel_foucault:accueil|Michel Foucault]] qu’il était un « philosophe homosexuel », dont la quête philosophique n’aurait eu d’autre ressort que « l’expérience de sa différence »… Pour moi, cette question relève de l’absurdité. Fils de [[fr:valoriser:psychanalyse:accueil|psy]], j’ai toujours eu les ressources nécessaires pour ne pas m’empêtrer dans cette question là. De l’homosexualité de Michel Foucault, je préfère considérer qu’elle relève de la contingence historique - de sa rencontre avec les années 1970, pour le dire rapidement.\\
Fondamentalement, je considère que l’homosexualité[[fr:glossaire#homosexuel|*]] n’a jamais guidé personne. Mais dans certaines circonstances historiques - et aussi dans la configuration spécifique de mon enquête - elle a pu cependant apparaître comme un chemin. //La responsabilité qui en découle pour les témoins musulmans// - pour Waddah et Ziad en l’occurrence, et sur un autre plan pour les musulmans en France à l’heure de l’utopie intersexe - c’est le nœud de cette affaire que j’essaie d’exprimer.))
S’il y a injustice dans l’affaire d’octobre 2003, c’est de m’avoir laissé croire que l’homosexualité me permettrait de gagner ma place dans la société yéménite, ou en tous cas de lui renvoyer un miroir. Il y avait là une sorte d’« arnaque », très certainement. Mais cette arnaque, Waddah n’en est pas l’auteur. L’arnaque est plutôt consubstantielle à l’époque postcoloniale - ce dont alors nous commencions à peine à prendre conscience, moi et mes interlocuteurs à Taez. __Et c’est pour protéger cette intuition, pour la stabiliser, que j’ai sauté à pieds joints dans cette arnaque, délibérément.__\\
Mais Waddah n’avait assisté à rien, et il était pris dans une histoire qui le dépassait. En ce 4 octobre au matin, il se retrouvait « au milieu du gué » : s’étant déjà compromis par sa question, jouant sa respectabilité dans son propre quartier. Sur le moment, Waddah était entièrement tendu sur ces questions d’honneur, chauffé à blanc de se retrouver dans cette situation, totalement inattendue. Waddah ne pouvait s’attendre à mon volte-face, à ce que je lui saute dessus //justement parce qu’il se trompait//. Il fallait que l’incertitude soit levée d’une manière ou d’une autre, c’était une question d’honneur - et les explications viendraient plus tard. Or en fait par sa réaction, Waddah m’avait //effectivement// donné une place, il m’avait effectivement permis de revenir.
Les années suivantes, nous blaguions souvent sur ma condition d’ethnographe apparemment dépassé par les évènements : « un benêt dans un traquenard » (//’arta fî warta//, la formule rime en arabe). Mais j’étais surtout « un traquenard (dissimulé) dans un benêt » (//warta fî ’arta//), et Ziad fut le premier à le remarquer, tandis qu’il sombrait peu à peu dans une folie apparente - en tous cas dans une réflexion exigeante, qui l’empêchait de se battre sur d’autres plans. L’anecdote détruisait la figure de l’Occidental retors, tenue jusque là pour acquise par Ziad comme par ses frères et ses contemporains. Ziad connaissait bien les circonstances qui m’avaient conduit à ce geste : fin septembre 2003, je suis bien conscient d’avoir valu à Ziad une « [[fr:zaim:loth|pénible journée]] » ([[https://tanzil.net/#trans/fr.hamidullah/11:77|Coran 11:77]] - le [[fr:comprendre:moments:printemps_arabe_dans_un_verre_d_eau|petit Printemps Arabe]] raconté dans mon premier mémoire). Et ce, à force de rester campé sur mes positions laïques et mes intentions purement intellectuelles - autrement dit sur mon statut « angélique » garanti par le Régime… Or voilà que s’avance le cousin Waddah, manifestement disposé à assumer le rôle du Régime dans ce psychodrame, pour refaire de toute l’affaire une histoire de famille… Je ne pouvais qu’accepter la proposition !
Dans la suite de mon travail, j’ai peu à peu entraîné dans ce paradoxe d'autres membres de son entourage, jusqu’à trouver dans l’islam une formulation stable, qui permettait sa contemplation rétrospective.
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Voir aussi mon [[rêve du 12/04/2023]]