~~NOTOC~~ ====== « Être affecté » ====== Section [[fr:atelier:methodologie:ethnographie:accueil|méthodologie ethnographique]]\\ //« Il n'y a pas de position neutre de la parole : en sorcellerie, la parole, c'est la guerre.\\ Quiconque en parle est un belligérant, et l'ethnographe comme tout le monde.\\ Il n'y a pas de place pour un observateur non engagé »//\\ //[[https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Mots,_la_Mort,_les_Sorts|Les mots, la mort, les sorts]]//, 1977 (p.27). Référence incontournable de l’anthropologie réflexive[[fr:glossaire:reflexivite|*]] « à la française », [[fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada|Jeanne Favret-Saada]] est une anthropologue d’origine juive tunisienne née en 1934. Spécialiste initialement de l’Afrique du Nord et partisante de l’Algérie indépendante, elle se rabat à partir de 1969 sur un terrain rural dans l’Ouest de la France, où elle mène une recherche originale sur les pratiques de sorcellerie.\\ **//{{fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:jfs-etre_affecte.pdf|Être affecté}}//**, article publié en 1990, synthétise les enseignements méthodologiques de cette enquête et ses conséquences pour l’anthropologie. **Guide de lecture** ci-dessous, avec les phrases essentielles et des liens directs vers le texte numéroté. {{ youtube>ANTnaQBOzb8?start=1316&end=1584 }} Jeanne Favret-Saada évoque un moment-clé de son enquête sur la sorcellerie, et les réactions indignées de l'anthropologie à l'époque.\\ Extrait d’une [[https://youtube.com/playlist?list=PLem2YGGkt1CtZdc3IoIO-n69BvqmcqA00&feature=shared|série d’entretiens de 2018]] (4’30). {{ :fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:jfs-being-affected.pdf |English version available}} **Introduction : la notion d’affect en anthropologie**  {{fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:jfs-etre_affecte.pdf|1a}}\\ //…Je travaille sur l’hypothèse selon laquelle l’efficacité thérapeutique, quand elle se produit, vient de ce qu’un certain travail est accompli sur de l’affect non représenté. D’une façon plus générale, mon travail met en cause le fait que l’anthropologie se cantonne à l’étude des aspects intellectuels de l’expérience humaine.// ===== Critique des savoirs existants ===== **Folkloristes européens : le filtre des élites locales**  {{ :fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:jfs-etre_affecte.pdf#page=2 |1e}}\\ //…“On y croit encore ?” “Ici, non, mais dans le village voisin, ce sont des arriérés…” Suivaient quelques anecdotes sceptiques ridiculisant les croyants//\\ [Noter la triangulation, comme dans mon petit [[fr:comprendre:processus:theoreme_de_l_enchantement_ethnographique|théorème]]] **Anthropologues anglo-saxons : observation restreinte, sans participation**  {{fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:jfs-etre_affecte.pdf#page=2|1g}}\\ //…leur analyse de la sorcellerie se réduisait à celle des accusations parce que, disaient-ils, ce sont les seuls « faits » qu’un ethnographe puisse « observer ».// **Le dualisme[[fr:glossaire:dualisme|*]] colonial**  {{fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:jfs-etre_affecte.pdf#page=2|1i}}\\ //…la « vérité » venait baver sur le « réel », et celui-ci sur « l’observable »… L’« erreur » bavait sur l’« imaginaire », sur l’« inobservable », sur la « croyance » et enfin sur la « parole » indigènes[[fr:glossaire#indigene|*]]… Toutes ces confusions tournent autour d’un point commun : la disqualification de la parole indigène, la promotion de celle de l’ethnographe.// **Le Grand Partage** {{fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:jfs-etre_affecte.pdf#page=3|2a}} \\ //…Les auteurs niaient régulièrement la possibilité d’une sorcellerie rurale dans l’Europe d’aujourd’hui. …Une tentative absurde pour reconduire le Grand Partage entre « eux » et « nous » (« nous » aussi avons cru aux sorciers, mais c’était il y a trois cents ans, quand « nous » étions « eux »).// ===== Le dispositif méthodologique ===== **Y être prise**  {{fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:jfs-etre_affecte.pdf#page=3|2b}}\\ //…Ils ne m’en ont donc parlé que quand ils ont pensé que j’y étais «prise», c’est-à-dire quand des réactions échappant à mon contrôle leur ont montré que j’étais affectée par les effets réels — souvent dévastateurs — de telles paroles et de tels actes rituels.// **La scientifique dans une double contrainte**  {{fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:jfs-etre_affecte.pdf#page=3|2d}}\\ //…Au début, je n’ai cessé d’osciller entre ces deux écueils : si je « participais », le travail de terrain devenait une aventure personnelle, c’est-à-dire le contraire d’un travail ; mais si je tentais d’« observer », c’est-à-dire de me tenir à distance, je ne trouvais rien à « observer ». Dans le premier cas, mon projet de connaissance était menacé, dans le second, il était ruiné.// **Observer la participation**  {{fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:jfs-etre_affecte.pdf#page=3|2e}}\\ //…J’ai entrepris de faire de la « participation » un instrument de connaissance.// {{anchor:deprise}} **Objectifs du carnet de terrain**  {{fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:jfs-etre_affecte.pdf#page=3|2f}}\\ //…Ce journal de terrain, qui fut longtemps mon matériau unique, avait deux objectifs :\\ (1) à très court terme, essayer de comprendre ce qu’on me voulait ;\\ (2) à long terme, permettre une reprise du système de places.//\\ [D'où les trois moments de l'engagement ethnographique : //prise, déprise, reprise//] **Le recours à l’enregistreur**  {{fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:jfs-etre_affecte.pdf#page=4|2i}}\\ //…L’une des situations que je vivais sur le terrain [la séance de désorcèlement] était pratiquement irracontable : elle était si complexe qu’elle défiait la remémoration et, de toutes façons, elle m’affectait trop… J’ai discrètement enregistré une trentaine de séances sur les quelques deux cents auxquelles j’ai assisté, pour constituer un matériau sur lequel je puisse travailler plus tard.//\\ [Option inconcevable dans mon cas => je me rabats sur la //structure qui relie//[[fr:glossaire#lsqr|*]] ] ===== Conséquences théoriques ===== **Contre l’empathie**  {{fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:jfs-etre_affecte.pdf#page=4|3a}}\\ //…Accepter de « participer » et d’être affecté, cela n’a rien à voir avec une opération de connaissance par empathie… C’est bien parce qu’on n’est pas à la place de l’autre qu’on tente de se représenter ou d’imaginer ce que ce serait que d’y être… Or moi, j’étais justement à la place de l’indigène[[fr:glossaire#indigene|*]]… Occuper telle place dans le système sorcellaire ne me renseigne en rien sur les affects de l’autre.// **Une communication sans partage de signification**  {{fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:jfs-etre_affecte.pdf#page=4|3e}}\\ //…Mais le seul fait que j’accepte d’occuper cette place et d’en être affectée ouvre une communication spécifique avec les indigènes[[fr:glossaire#indigene|*]]. Ce qui m’est communiqué, c’est seulement l’intensité dont l’autre est affecté. Les images qui, pour lui et pour lui seul, sont associées à cette intensité échappent à cette communication.//\\ [cf conception cybernétique[[fr:glossaire:cybernetique|*]] de l’information] **Recevoir une révélation**  {{fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:jfs-etre_affecte.pdf#page=5|3h}}\\ //…Supposons que je ne lutte pas contre cet état, que je le reçoive comme une communication de quelque chose que je ne sais pas …Alors je suis branchée sur une variété particulière d’expérience humaine. Or, entre des gens également affectés parce qu’ils occupent telles places, il se passe des choses auxquelles il n’est jamais donné à un ethnographe d’assister, on parle de choses dont les ethnographes ne parlent pas, ou bien l’on se tait, mais c’est aussi de la communication. Une sorte particulière d’objectivité.// **Traits distinctifs de cette ethnographie**  {{fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:jfs-etre_affecte.pdf#page=6|3k}}\\ //…La communication ethnographique ordinaire — une communication verbale, volontaire et intentionnelle, visant l’apprentissage d’un système de représentations indigènes[[fr:glossaire#indigene|*]] — constitue l’une des variétés les plus pauvres de la communication humaine. …Pour ma part, j’ai choisi au contraire de donner un statut épistémologique à ces situations de communication involontaire et non intentionnelle : c’est en revenant encore et encore sur elles que je constitue mon ethnographie…// **Contre « l’efficacité symbolique »**  {{fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:jfs-etre_affecte.pdf#page=7|3q}}\\ //…Le rituel est un élément grâce auquel le désorceleur démontre l’existence des « forces anormales », l’enjeu mortel de la crise que subissent ses clients, et la possibilité de la victoire. Mais celle-ci suppose la mise en place d’un dispositif thérapeutique très complexe avant et longtemps après l’effectuation du rituel.// **Critique de l’anthropologie anglo-saxonne**  {{fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:jfs-etre_affecte.pdf#page=7|3r}}\\ //…Mon expérience de terrain m’a conduite à explorer une opacité essentielle du sujet à lui-même. Peu importe le nom donné à cette opacité («inconscient », etc.) : le tout est de pouvoir désormais la postuler, et la mettre au centre de nos analyses.// Retour [[.:|Jeanne Favret-Saada]]\\ ''fr:explorer:auteurs:jeanne_favret-saada:etre_affecte''