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2 janvier 2023.
Clairement, j'ai un problème avec Michel Foucault. Trop philosophe, trop fort aussi. Omniprésent sur les thèmes que j'aborde, je passe mon temps à le contourner.
Lui ouvrir une page sur le wiki, c'est déjà une première étape…

En découdre avec Michel

1-3 mai 2023

Si je propose ce pastiche des Suivantes de Velasquez, c’est pour en découdre avec l’oeuvre de Michel Foucault. Pas en découdre avec Michel Foucault lui-même, mais avec ce que les sciences humaines font de cette œuvre imposante, pour moi passablement inaccessible, et néanmoins incontournable.

Dans la cour de l'école

Je ne suis pas Foucaldien, ou pour le dire autrement, Michel Foucault n’est pas mon ami. Foucault me pose problème, comme les élèves du premier rang posent problème aux cancres de l’institution scolaire. Quand je le vois dans la cour de récréation, il me prend l’envie de mettre le feu à l’école. Je n’ai pas d’autre alternative, car Foucault est pour moi indissociable d’un ordre institutionnel obtus et hypocrite, où l’injustice s’allie à la confusion discursive, et dans lequel je suis toujours perdant. Longtemps, je me suis positionné derrière Gregory Bateson, un autre mastodonte de la cour de récréation, dont par contre je bois les livres comme du petit lait. Mais pour ce que j’essaie de faire, ce n’est pas suffisant : l’institution veut son combat de coq dans la cour de l’école, et je dois en découdre avec Michel Foucault, le modéliser. Je dois dire ce qu’il est, à la manière d’une prise de judo qui le mettra sur le tapis, lui et ses trente-six ouvrages, juste le temps que l’arbitre compte jusqu’à dix. Juste pour l’humilier, pour que Foucault redevienne Michel.

La première chose qu’il faut dire de Michel Foucault, c’est que la base de son œuvre n’est pas l’homosexualité. Comme on le voit dans ce premier chapitre, la base de son œuvre est la théorie de la représentation, et d’abord la position d’observateur face à celle-ci : un voyeur de la représentation. Né en 1926, Foucault est un pur produit de la culture littéraire classique que véhiculait l’institution scolaire d’antan. Il en subsiste aujourd’hui le système de la khâgne et de l’hypokhâgne, pour encore faire accéder quelques heureux élus au statut de littéraire. Je veux dire vrai littéraire, pas juste un lycéen de la filière L ou un étudiant en fac de lettres : je parle du littéraire estampillé « École Normale Supérieure » - celui qui, par extraordinaire, a su frayer son chemin parmi toutes les voies de garage, dont dès lors on peut considérer qu’il connaît tous les livres de la bibliothèque, et qu’il peut commencer à parler. Foucault fait partie de cette espèce très particulière, qui peut se mouvoir dans la contemplation des choses à partir des mots.

Bourdieu aurait dit : il a la représentation du monde des classes supérieures. Je préfère constater que par construction, le littéraire n’a pas de face. Il n’a pas le rapport que moi par exemple, je n’ai jamais cessé d’entretenir aux livres : le scrupule que je n’ai jamais cessé d’avoir avant de citer quelqu’un, le livre de quelqu’un, par peur de faire ombrage à cette personne par une citation trop triviale, parcellaire, ou relevant d’un contre-sens. Scrupule particulièrement paralysant, qui voit le visage d’un auteur derrière chaque couverture de livre - alors que les littéraires n’y voient qu’une déjection, le genre de mue que les serpents laissent derrière eux en cheminant à travers la vie. Le monde des littéraires, c’est la République des serpents qui se prennent pour des hommes. Entassés qu’ils sont dans une caisse, ils plongent dans les livres les uns des autres sans aucun scrupule, déjà habitués à l’idée de leur promiscuité, glissent parmi les peaux de leurs semblables en quête d’une voie d’accès au réel.

Le littéraire et l'homosexuel

Ce qui est premier dans l’œuvre de Michel Foucault, c’est cette caisse de serpents et le rapport au monde qu’il induit : la condition de littéraire, qu’il faut absolument la distinguer de l’homosexualité.
J’ai posé mes définitions du coup :

Produit d’une formation intellectuelle encadrée par la rationalité discursive (logos)* de l'institution universitaire*.
Héritier d’une tradition par laquelle la chrétienté latine, puis l’Europe*, ont tenté de rester aux prises avec le monde malgré la révolution scientifique, et ce à travers les livres, les traces laissés par des hommes dans un système de signes. Tradition dont la civilisation cybernétique*, avec ses data d’utilisateurs, est l’actuel prolongement.

Teaser (l’œil de l'IA)
En découdre avec Michel
Tawhid et anthropologie
(section 3 : La nouvelle « conversion » des musulmans diplômés)
(…) / Glossaire

· 2023/05/03 10:48

Personne cherchant à instaurer des rapports sexuels avec des personnes de même sexe.
Remarque 1 : Dans cette définition, l’homosexualité se définit par l’intentionnalité (« cherchant à instaurer ») portée sur une catégorie (« personnes de même sexe », au pluriel). Le rapport homosexuel ne suffit pas en lui-même à définir l’homosexuel, pour les Européens comme pour les Yéménites, quoi que pour des raisons différentes.
Remarque 2 : En lien avec ma recherche sur la nature du lien social à Taez, cette définition insiste sur l’aspect interactionnel : l’homosexualité en tant que quelque chose dans ma configuration subjective que le partenaire de l’interaction peut ressentir et légitiment rejeter - le symptôme d’une pathologie de l’intention, étroitement liée au but conscientGB. En fait j’ai été conduit à nommer ainsi une problématique que je ne savais pas nommer autrement, qu’on ne m’a pas permis de nommer autrement, surtout lié à la part d’idolâtrie (shirk)* dans la pratique des sciences sociales. C'est également à ce titre que j'en reparle aujourd'hui.

fr:glossaire:homosexuel [définition retouchée depuis]

Dans mon enquête, il est crucial de distinguer l’expérience d’octobre 2003, à la fin de mon premier séjour, et la période où j’ai été homosexuel, dans le sens de la définition ci-dessus, par contre coup de la première sociologisation (juin 2004). Cette distinction est cruciale aussi pour Michel Foucault.
J’entends dire que Michel Foucault était homosexuel, que sa quête philosophique découle de son « homosexualité ». Mais est-ce vraiment plus important que le fait d’être né en 1926, dix ans après Verdun, dans un milieu bourgeois ? D’être devenu adulte en 1944, sous Vichy ? D’avoir connu après 1968 une consécration au-delà des cercles académiques, sans laquelle il n’aurait peut-être jamais travaillé sur l’homosexualité ? Plus importante en somme que le fait d’être français ?…

Là où l’affaire devient proprement délirante, c’est lorsque cette « homosexualité universelle » est projetée sur le monde. Lorsque des petits Français ressassent leur Foucault comme à l’école coranique, puis s’élancent de par le monde munis de leur bréviaire, prétendant se solidariser avec la masse des opprimés. Or il me semble, lisant Didier Eribon ou Edouard Louis, qu’ils ne comprennent même plus le milieu dont ils sont issus.

Confronté à l’homosexualité à mon tour, pour des raisons structurelles et épistémiques, j’ai rencontré sur mon chemin des « Foucaldiens », par identification homosexuelle plus que par compréhension réelle de son œuvre, qui prenaient les choses à l’envers : L’histoire de la sexualité avant Les mots et les choses, auxquels ils m’ont longtemps barré l’accès. Si bien que jusqu’à aujourd’hui, j’ai préféré contourner l’œuvre : je ne pouvais à la fois affronter le monde des littéraires et régler mes comptes avec l’homosexualité. J’ai mobilisé Bateson contre les Foucaldiens, plus que contre Foucault lui-même, dont je comprends mieux le programme aujourd’hui.

Le propre de notre époque, c’est de vouloir penser l’homosexualité sous l’angle du général (ce à quoi la notion d'intersexuation est une réponse possible). De sorte que rien n’incite à distinguer le littéraire de l’homosexuel : les deux catégories, certes de niveaux différents, peuvent se recouvrir sans qu’on éprouve le besoin de le remarquer. On a perdu notion que la caisse de serpent devait tout de même garder une face, on préfère nier le problème. À travers l’homosexualité de Foucault, ne cherche-t-on pas à sauver le sujet occidental, dont Foucault lui-même actait la disparition ?