Je colle cette synthèse, suite à échange sur ces deux vidéos :
Remarque : JBB est nuancé, mais le commentateur tire l'histoire vers un contentieux “nationaliste”, Islam vs. Europe…
L'interprétation “nationaliste” est anachronique parce qu'à cette époque (XIIe siècle), l'église n'est pas contre Averroès parce qu'il est musulman, plutôt parce qu'il est philosophe. La grande question de cette époque, le grand clivage, c'est raison vs. révélation, et les données du problème sont peu ou prou les mêmes de par et d'autre de la méditerrannée. Du coup les innovations théoriques circulent, les deux scènes ne peuvent pas s'ignorer, même si chacune garde son propre langage - ce que Bateson appelle schismogenèse symétrique (chacun défend sa révélation, mais on s'accorde peu ou prou sur la définition de la foi).
Ça va changer ensuite, avec l'essor de la scolastique et des universités, qui changent complètement la manière de poser les problèmes - et les musulmans n'y sont confrontés qu'avec le choc colonial (mis à part de vagues échos, par exemple au XVIIIe entre l'émergence du wahhabisme et les Lumières européennes).
Donc le basculement est la réintroduction d'Aristote (Saint Thomas), qui était considéré comme païen depuis l'antiquité (Saint Augustin). Tout le paradoxe de cette histoire, c'est que la chrétienté latine réhabilite Aristote en s'appuyant sur un philosophe musulman dont elle critique l'incroyance.
La clé de ce paradoxe, je crois, c'est que le christianisme a un penchant “pro-logos”, qui existait dès l'origine (les évangiles sont rédigés en grec, par des juifs hellénisés…) et qui se trouve réactivé à ce moment-là (XIIIe siècle). La chrétienté latine réinvestit Aristote en y retrouvant quelque chose du drame de la crucifixion (ce qui va donner la spécialisation universitaire, chaque chercheur crucifié sur son propre problème théorique…). Alors que les musulmans ont un rapport à la philosophie bien plus instrumental et extérieur, et je pense c'est cela que Thomas pointe en termes “d'animalité”.
En gros, l'opération valide une définition philosophique de Dieu (notion d'Intellect Agent), tout en précisant le type de rapport qu'il convient d'y entretenir (rejet de l'animalité). Cette opération philosophique est la clé de la schismogenèse ultérieure, qui devient alors une schismogenèse complémentaire (le clivage raison-révélation s'efface au profit des quiproquos actuels, procès en obscurantisme, accusations de double-discours etc.).
Voilà en gros ma compréhension des choses.