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Mise en ligne le 7 juin 2023, en lien avec Les voyages de Ziad (section « La centralité de Jésus »).
Déclaration d’agnosticisme rédigée par mon grand-père maternel, sur un petit carnet de notes, en janvier 1944.
Janvier 1944. L’Église Catholique, construction remarquable par l’intelligence et la sainteté à beaucoup de points de vue. En tant que telle, elle attire mon admiration, ma sympathie, mais elle n’entraîne pas mon adhésion à tout le système qu’elle postule comme un bloc sans fissure : système de croyances, de rites, de préceptes. Je ne la crois pas dépositaire d’une vérité absolue. Pas de crédit dans son infaillibilité. Pas de croyance dans ses sacrements, la présence réelle dans l’Eucharistie (rites), dans les dogmes sur la Trinité, les anges, la faute originelle et la rédemption, la parthénogenèse. La résurrection du Christ, la vie éternelle pour les hommes me paraissent des hypothèses très fragiles (croyances). Méfiance envers sa morale souvent rétrécissante (vie des monastères) qui ne se justifie qu’en fonction de la vie éternelle. Sans cela c’est un crime de renoncer à toutes les occasions d’enrichissement, d’épanouissement, de découvertes qu’il faut puiser dans la vie sur terre (c’est par toutes ces activités de l’âme que se définit la vie. Les rechercher, c’est donc rechercher la vie. Tout simplement. Et c’est en cela que consiste la morale. La qualité de la vie se mesure à la qualité des actions, des mobiles et des sensations reçues.
Le christianisme fait fausse route avec sa morale sexuelle qui joue un rôle considérable dans la vie et l’histoire des peuples de civilisation chrétienne. C’est une cote mal taillée. Pour la majorité des hommes, il faut bien reconnaître qu’elle est restée lettre morte, la nature prenant le dessus (et cela à toute époque du christianisme). Pour le reste, il se divise en 2 : ceux qui ont été brimés par cette morale, qui en ont souffert consciemment ou inconsciemment, dont la vie a été amoindrie, ratée à cause d’elle (inhibition du sexuel par suite du refoulement). Enfin, un petit nombre a trouvé une compensation dans la sublimation qui leur a permis une intensité et une qualité de vie susceptible de les payer de leur héroïsme quotidien. Ils ne suffisent pas pour justifier une telle liberté vis-à-vis des lois de la nature (quoi qu’en disent les moralistes chrétiens).
L’humilité : échec également. Pour certains tempéraments, elle conduit au manque de confiance en soi, à la pusillanimité, à la médiocrité de vie (préceptes).
Vous me reprochez d’être trop scientifique - mais c’est vous qui faites un abus de l’esprit scientifique, de la logique déductive avec tout cet imposant appareil de dogmes (jusqu’à l’infaillibilité pontificale) que vous tirez d’un message bien restreint au fond, bien peu explicite, écrit une génération au moins après la mort de Jésus. Je trouve plus prudent de le soumettre d’abord à la critique historique et de s’en inspirer tel que, en le considérant comme l’expression plus ou moins fidèle d’une belle doctrine apportée par un des plus remarquables mystiques de l’humanité.
Pour aller à la foi catholique vous me proposez deux voies bien différentes :
1) Ce saut accompli de confiance, sans examen, sans l’impulsion de la grâce de Dieu. Cela ne se discute pas. Je ne puis rien faire pour cela puisque la grâce est l’agent essentiel. Vous n’avez plus qu’à prier pour que je connaisse mon chemin de Damas.
2) l’examen rationnel, critique, historique de tout le credo catholique d’où doit jaillir la vérité pour tout homme de bonne foi.
Je ne suis pas d’accord. Vous avez des raisons pour justifier chaque point, chaque assertion. Je les connais, et je les ai mêmes exprimées, ces raisons. Mais elles ne sont pas toutes bonnes à mon point de vue.
Devant leur fragilité je me dis qu’elles ne seraient pas suffisantes pour décider de l’orientation de l’humanité vers une règle très particulière, comme celle de la religion catholique (en se plaçant dans l’hypothèse purement abstraite où une religion entrerait dans l’humanité par le choix raisonnable d’une masse d’hommes). En fait je considère que le christianisme est la religion qui s’est imposée parmi celles qui pouvaient éclore il y a 2000 ans dans le monde méditerranéen à la suite du perfectionnement de la pensée philosophique et, simultanément, d’un courant mystique.
Crises du christianisme dont il a pu sortir tant bien que mal, après quelques adaptations - Renaissance, Reforme au 16e siècle, science au 19e siècle. Après un impardonnable sectarisme sur la question scientifique (Galilée, transformisme, etc..) il s’est adapté aux vues de la science. Il est cependant encore gêné par toutes nos conceptions sur l’histoire de l’Univers avant Abraham. L’Époque judéo-chrétienne n’est qu’une goutte d’eau dans la vie de l’humanité. Cela cadre mal avec la conception de l’ère d’attente avant le Christ. En outre l’Église est très gênée pour interpréter la Genèse. Il est certain qu’elle devra consentir de plus en plus à des abandons qui auraient été taxés d’hérétiques un siècle plus tôt. Il ne restera plus de la Genèse qu’un mythe, analogue aux autres mythes sur l’origine du monde, où l’idée d’un Dieu créateur reste seule en considération.
Ma position vis-à-vis de la religion n’est pas la conséquence d’un brusque changement survenu un jour de l’hiver 1938 à Oran. Il est l’aboutissement d’une crise qui a duré depuis mon âge de raison, qui a été intellectuelle surtout et à laquelle s’est greffée le problème de la morale sexuelle pendant 6 ans. Ce n’est pas que j’ai été tenté d’abandonner la religion pour reprendre ma liberté. Au contraire, je conservais la religion parce que je ne pouvais me défaire d’une emprise morale qui avait été plaquée sur moi, un impératif Kantien, et je n’étais pas assez le surhomme de Nietzsche pour le renverser. Je n’adhère pas à la religion en grande partie à cause de ce grief : je ne puis me mettre d’accord avec elle en tant qu’éducatrice de l’adolescent et du jeune homme que j’ai été. (Non seulement sur le terrain sexuel mais encore sur la conception du devoir, de l’humilité etc.). Il y a là quelque chose de révolu, pour laquelle aucune contre expérience n’est possible. J’accepte d’avoir eu ma vie ainsi façonnée, déterminée, mais je n’accepte pas de dire “C’est bien ainsi”.
Julien Martelly
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