Mes lecteurs sont susceptibles d’avoir en tête surtout deux conceptions du mot « science », qu'il importe ici de distinguer clairement :
Pour le versant épistémologique* de cette distinction, voir les entrées : #raison, #monothéisme. Bien d’autres conceptions existent et sont anthropologiquement possibles, mais leur examen excèderait la portée de ce site.
Par défaut sur ce site, j’utilise le mot science dans le sens moderne : c’est l’histoire d’un physicien qui part au Yémen, et je m’exprime aujourd’hui comme anthropologue. Dans le domaine des sciences islamiques, je ne peux me prévaloir que d’une fréquentation dilettante, encore teintée d’observation participante*, mais d’aucune formation sérieuse à ce jour (ijâza).
« Pudeur et construction de l'objet dans les sciences expérimentales » (un vieux texte de 2013).
(…) / Glossaire
Notons qu’à la tradition philosophique grecque*, la révolution scientifique européenne entretient des rapports complexes et ambivalents : elle s’affirme initialement contre Aristote, ce qui lui donne son momentum et son statut de « révolution », pour autant elle s’inscrit dans le moment culturel de la Renaissance, qui prône le retour aux sagesses de l’Antiquité. Et comme le génie mathématique cartésien a finalement échoué à renouveler l’ensemble du savoir humain, les filiations aristotéliciennes demeurent dans de nombreux domaines.
Par contraste dans l’Islam* comme civilisation, les deux conceptions sont distinguées plus clairement. Des auteurs médiévaux d’expression arabe ont apporté des contributions décisives dans de nombreux domaines (médecine, histoire, optique, astronomie) ; l’historien des sciences repère même des évolutions plus profondes de l’approche scientifique elle-même (abstraction algébrique, expérimentation…). Mais « l’inspiration divine » n’y est pour rien, en tous cas la science islamique n’a jamais joué à ce jeu-là, dans sa conception sunnite orthodoxe - contrairement notamment à Descartes*, dont l’approche spirituelle fait également tradition. La science islamique a toujours distingué très clairement les sciences religieuses et celles de ce bas monde, et cette distinction (liée historiquement au hanbalisme*) a été en elle-même fondamentale pour l’histoire des sciences.
De cette clarté passée vis-à-vis de la science des Grecs, découle l’ambivalence actuelle vis-à-vis des sciences modernes, légitime et nécessaire à l’heure de la crise écologique. Cette ambivalence-là, les musulmans d’aujourd’hui gagneraient peut-être à l'assumer plus clairement.