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fr:modele:matrice:sionisme [2025/06/11 19:13] – créée (premiers jets de la semaine) mansour | fr:modele:matrice:sionisme [2025/06/30 11:22] (Version actuelle) – mansour |
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<WRAP justify> | <WRAP justify> |
<WRAP centeralign round todo lo> | |
Morceaux rédigés du 6 au 11 juin 2025.\\ | |
Il y a là plusieurs textes que je dois organiser et remanier ces prochains jours, mais les idées essentielles sont là. | |
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====== Localiser le sionisme musulman ====== | ====== Localiser le sionisme musulman ====== |
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Il y a la trahison dont tout le monde parle : celle de notre humanisme / des dirigeants arabes. Mais au fait, quel rapport entre les deux, et pourquoi les évoque-t-on toujours ensemble ?\\ | === Résumé au 22 juin 2025 === |
L’autre trahison, dont on parle beaucoup moins, est celle du Coran : //« Nous nous sommes éloignés du livre d’Allah… »//. La formule se promène sur les lèvres de la Communauté : on ne la comprend plus très bien mais on la répète quand même, car tout musulman sincère en porte le drame en son cœur. Une sorte de crédo vernaculaire, c’est-à-dire exprimé dans la langue locale, le français en l’occurrence : //« S’être éloigné du Livre d’Allah »//. Mais au fait qu’est-ce que ça veut dire ? En quoi cet éloignement consiste-t-il au juste? En quoi y a-t-il là une explication de la crise à Gaza ? | <WRAP box> |
| 1) Historiquement, le sionisme[[..:..:glossaire:sionisme|*]] a d’abord été la greffe d’un projet national juif sur une vision du monde protestante, puis réinscrite théologiquement dans le judaïsme.\\ |
| 2) Il faut nommer « sionisme musulman » le courant religieux constitué dans la même période par la même séquence, étroitement liée à l’ère postcoloniale (= reprise théologique d’un projet national greffé sur une vision du monde européenne).\\ |
| 3) Prendre parti dans la guerre civile européenne[[..:..:glossaire:europe|*]], sans maîtriser les clés théologiques[[..:..:glossaire:raison|*]] internes à la chrétienté latine, ne peut être une stratégie payante à long terme.\\ |
| 4) Pour aller de l’avant, il s’agit maintenant de réconcilier les mémoires //sionistes//. L’enjeu actuel (et depuis 2011) n’est pas de sortir du colonialisme, mais du postcolonialisme[[..:..:glossaire:postcolonial|*]].\\ |
| 5) Le drame est que les Palestiniens soient défendus par un mouvement « décolonial »[[..:..:glossaire:decolonial|*]] auto-proclamé, prétendant « réconcilier les mémoires postcoloniales » (= ancrer le récit nationaliste dans la mauvaise conscience de l’ancienne métropole, pour mieux lui imputer l’échec de la greffe). Cela ne marche que dans la rhétorique universitaire[[..:..:glossaire:universite|*]], elle-même pétrie de mauvaise conscience.\\ |
| 6) Les musulmans diplômés[[..:..:glossaire:musulman_diplome|*]] portent une pleine et entière responsabilité dans ce drame. Dans leur comportement intellectuel sur le Hamas (comme autrefois sur l’affaire Merah) réside une trahison du Livre d’Allah. |
| </WRAP> |
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On voudrait commencer par quelques constats, une désignation anthropologique élémentaire de notre situation. | === Dans le dossier === |
| <nspages fr:modele:matrice:sionisme -tree -r -h1 -sortId -textPages="" -exclude:accueil> |
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==== Impuissance du langage ==== | <wrap lo>(à terme j'aimerais y découper le texte ci-dessous)</wrap> |
D’abord, notre époque constate avec effroi l’inefficacité du langage. Car c’est bien une nation développée, une nation instruite, qui fait cela aux Palestiniens. Aux yeux de tous, à la population qu’elle a chassé de sa terre quatre-vingt ans plus tôt, qu’elle a soumis à un blocus pendant seize ans, à qui elle fait payer sa propre faillite sécuritaire, l’impasse de sa propre politique. Une nation développée qui affame méthodiquement près d’un million de personnes, après avoir tout détruit de leur vies, de leur monde, qui leur tire dessus en faisant mine de les nourrir, comme on disperse des animaux.\\ | ---- |
Alors de grands esprits prennent la plume, pour inscrire ces nouvelles pratiques (in)humanitaires dans la vieille mauvaise conscience du Vieux Continent. L’Europe qui a affamé l’Afrique à travers l’oppression coloniale, et qui tire aujourd’hui sur ses enfants à travers ses gardes cotes… Ainsi la bande de Gaza dirait le rapport de la civilisation industrielle au reste du monde : un microcosme pour lire le destin de notre planète, aux dimensions limitées…\\ | |
L’image est éloquente et porteuse, en tous cas pour des subjectivités écolos, essentiellement discursives, les plus mal armées pour affronter l’impuissance du langage. Auprès du reste du monde, l’image est contre-productive. S’il suffisait de comparer les Gazaouis aux Amérindiens, la guerre serait terminée depuis longtemps. | |
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==== Puissance de la Parole ==== | <WRAP rightalign> |
« Se rapprocher de la parole d’Allah ». Cette même formule a poussé l’organisation Hamas dans le projet du 7 octobre - projet qu’on peut juger fou et suicidaire, indépendamment de toute considération morale sur le droit de la guerre, sur un plan purement rationnel. Ils avaient un coup à jouer, après quoi la clôture électronique se refermerait pour toujours, sur eux et sur leur peuple. Ce coup sur l’échiquier, ils ont voulu le jouer quand même, et nul doute qu’ils se sont appuyés pour cela sur le livre d’Allah. Hors de toute considération morale, encore une fois : je ne parle pas ici en tant qu’imam, mais en tant qu’anthropologue. Il a bien fallu la connivence d’un Livre - avec une majuscule - pour qu’un groupe ait pu construire un projet de cette ampleur, pierre après pierre, passant entièrement sous les radars de la surveillance israélienne. Ce qui fait dire à des analystes en chambre, et sur les plateaux télé : //« Le Coran justifie la terreur… »//. Mais le texte coranique fait beaucoup plus que justifier un tel évènement, en réalité : il en //accouche//. | <wrap lo>Intuitions rédigées du 6 au 11 juin 2025, <wrap todo>en cours de remaniement</wrap>\\ |
| Voir aussi mes [[fr:explorer:actualite:accueil#gaza|autres textes sur Gaza]] (depuis le 7 octobre 2023).\\ |
| Retours bienvenus [[vplanel@protonmail.com| ]] |
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| </WRAP> |
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Face à cette puissance de la Parole, la Communauté elle-même est incrédule. Elle a ses propres analystes en chambre : //« Les Israéliens savaient, ils ont laissé faire exprès… »// - qui changent d’avis l’instant d’après : //« Allah a voilé les coeurs des infidèles »//. On cite des versets coraniques avec tapage et grandiloquence, mais en réalité on n’y croit pas vraiment. Les musulmans vivent surtout une crise de la foi. | ===== L’éloignement du Texte ===== |
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Il faut donc commencer par poser ce fait : Oui, le Livre les a aveuglés. Maintenant que fait-on ? | Il y a la trahison dont tout le monde parle : celle de notre humanisme / des dirigeants arabes. Mais au fait, quel rapport entre les deux, et pourquoi les évoque-t-on toujours ensemble ?\\ |
| L’autre trahison, dont on parle beaucoup moins, est celle du Coran : //« Nous nous sommes éloignés du livre d’Allah… »//. Tout musulman sincère porte ce drame en son cœur, et la formule se promène sur les lèvres de la Communauté : on la répète comme une sorte de crédo, même si on ne la comprend plus très bien : //« Si cela arrive, c’est que nous nous sommes éloignés du Livre d’Allah »//. Mais au fait qu’est-ce que ça veut dire ? En quoi cet éloignement consiste-t-il au juste? En quoi y a-t-il là une explication de la crise à Gaza ? |
==== Témoigner pour le Texte ==== | |
Chaque tragédie terroriste nous ramène au matin du 12 septembre 2001. Un matin qui s’éternise, récapitulant tous les malheurs de l’Irak dans les années 2000 : comme si Gaza devait les traverser à son tour, au cours d’une longue matinée de 600 jours. Et nous toujours cloués au lit, tétanisés, toujours incapables de nous lever. | |
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Quelque part dans ses six cent pages, le Coran proclame : //« Ainsi avons-nous fait de vous une communauté médiane… »// (2:143). Pas besoin d’être musulman pour entendre cet appel. Il faut que se lèvent ceux qui, //pour une raison ou pour une autre//, sont en position de faire médiation. Ceux qui n’ont aucune culpabilité de ne pas avoir été dans les rangs du Hamas, d’entretenir un autre point de vue sur le monde, n’étant ni Palestiniens ni Irakiens. Ceux qui, //pour une raison ou pour une autre//, sont en position de plonger au coeur de cette situation, entre le texte et ses lecteurs, entre le texte et ses lectures. En position de témoigner à la fois pour le texte lui-même, et pour la lecture qui en a été faite dans une situation donnée : sans la condamner à l’avance, mais en refusant absolument d’y réduire le texte. Parce qu’avant le cataclysme, l’explosion aveuglante, ceux-là regardaient déjà le monde, et le texte les aide à s’en souvenir un peu. | |
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Ce qu’il nous faut comprendre, c’est l’incapacité chronique du mouvement propalestinien actuel à opérer cette médiation entre le texte et ses lectures. | |
Usé sans doute par trois décennies de palabres anti-terroristes : //« Le Coran justifie-t-il ou non la violence. »//. Comment les musulmans se sont-ils laissés enfermer dans cette question-piège, dont on vient de voir qu’elle n’expliquait rien ? | |
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==== Les grands travaux théologiques ==== | |
Et en face pendant ce temps, aux yeux de tous, les grands travaux théologiques se poursuivent. Parallèlement aux tapis de bombes, aux pelleteuses travaillant sans relâche pour retourner la terre du petit territoire, le Rabbin Oury Cherki y va de sa //[[https://noahideworldcenter.org/fr/blogs/news/islam1|Lettre ouverte à l'islam]]// (janvier 2024), prolongée deux mois plus tard dans une //[[https://noahideworldcenter.org/fr/blogs/news/islam2|Lettre ouverte aux Sages de l'islam]]// (mars 2024) : | |
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> « Dans la première partie de cette lettre, j’ai montré comment l’islam pouvait devenir une religion légitime du point de vue du judaïsme et comment ces deux religions pouvaient coopérer efficacement. Cela dépend de la reconnaissance du judaïsme par l’islam, comme une religion comprenant des commandements spécifiques donnés par Dieu aux juifs et comme possédant un message universel destiné à tout homme. Bien entendu, d’autres problèmes restent à résoudre pour la création d'un pont de paix et de foi entre les enfants d'Abraham. » | D’abord, il faut reconnaître le rôle //causal// du Livre d’Allah, dans l’opération menée le 7 octobre 2023 par le Hamas en territoire israélien. Projet qu’on peut juger, sur un plan purement rationnel, fou et suicidaire, indépendamment de toute considération morale sur le droit de la guerre. Ils avaient un coup à jouer, après quoi la clôture électronique se refermerait pour toujours, sur eux et sur leur peuple. Ce coup sur l’échiquier, ils ont voulu le jouer quand même, et nul doute qu’ils se sont appuyés pour cela sur le livre d’Allah. Hors de toute considération morale, encore une fois : je ne parle pas ici en tant qu’imam, mais en tant qu’anthropologue. Il a bien fallu la connivence d’un Livre - avec une majuscule - pour qu’un groupe ait pu construire un projet de cette ampleur, pierre après pierre, passant entièrement sous les radars de la surveillance israélienne. |
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Inutile de dire qu’un an plus tard, le Rabbin Oury Cherki n’a pas changé d’avis (interview de mai 2025, toujours depuis Jérusalem) : | Ce qui fait dire à des analystes en chambre, et sur les plateaux télé : //« Le Coran justifie la terreur… »//. Mais le texte coranique fait beaucoup plus que justifier un tel évènement : il en //accouche//, en réalité. Et la question de notre époque est plutôt : pourquoi il n’accouche de rien d’autre, dans le domaine intellectuel notamment ? Pourquoi le témoignage du Livre d’Allah, à ce jour et dans ce bas monde, n’a pas profité aux Palestiniens ? |
> - « L’État d’Israël est compris dans le subconscient collectif de la civilisation actuelle comme étant un évènement biblique en pleine modernité. Or si je suis défini comme participant à un évènement biblique, je dois repenser mon identité. (…) Ce qui est touché ici, c’est le point névralgique de l’identité dans ce qu’elle a de plus concentré. C’est ça qui va engendrer des réactions tout à fait irrationnelles [dans la communauté juive], comme quoi Israël ferait des crimes contre l’Humanité etc.. » | |
> - Le présentateur (un peu gêné…) : « Oui, irrationnelles – maintenant quand on voit aussi les télévisions françaises par exemple, les grands médias, et qu’on voit ces images, on peut imaginer qu’effectivement… » | |
> - « Oui mais il y a une manipulation absolument extraordinaire ! Vous savez qu’en Allemagne nazie, il y avait certainement des enfants qui ont été bombardés avec leur poupée dans leurs lits, lors de la conquête, le démantèlement de l’Allemagne nazie par les Américains. C’est-à-dire, on pourra toujours chercher une scène qui va vous faire tirer des larmes, qui va vous ébranler émotionnellement etc., sans se poser la question de savoir : Mais qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que c’est que ce conflit ? Contre qui on lutte ? etc.. » | |
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Donc ce à quoi nous assistons - ne vous y trompez pas - c’est la création d'un pont de paix et de foi entre les enfants d'Abraham. | |
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==== Les alliés d’Israël sont-ils sionistes ? ==== | |
Comme on le sait, Israël a ses alliés dans la région : notamment les Emirats Arabes Unis qui promeuvent activement cette vision, à grands renforts de [[https://youtu.be/XEYflyNkWbA?feature=shared|projets architecturaux futuristes]], pour accueillir les rencontres entre le cheikh d’Al-Azhar et le Pape François - ainsi que par l’épuration systématique des élites religieuses dans le Yémen voisin, où les Emirats interviennent militairement depuis 2015. Dans toutes les régions sous leur contrôle, les EAU organisent l’exécution de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un frère musulman. Et les génies qui nous gouvernent en France, comme on le sait, mettent un zèle particulier à leur emboiter le pas… | |
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Pour autant, est-ce vraiment là que réside le sionisme musulman ? | |
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L’explication n’est-elle pas un peu absurde ? Tout serait donc la faute d’un minuscule état du Golfe ? Certes doté d’une réelle puissance financière, et d’une capacité d’intervention militaire éprouvée, mais cela suffit-il pour remodeler la théologie monothéiste à sa guise ? Et d’ailleurs, est-ce vraiment là son objectif ? | |
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Cette « théologie » émiratie a pour seule ligne de mire de « coopérer efficacement » avec ses voisins (pour reprendre la formule du Rabbin Cherki), au sein d’une alliance géopolitique donnée. C’est ce que recherche toute organisation étatique quelle qu’elle soit, peut-on vraiment le lui reprocher ? Oui bien sûr, les crimes commis à Gaza et au Yémen sont suffisamment avérés, on peut et on doit les leur reprocher. Mais au-delà, cette alliance mérite-t-elle vraiment notre détestation ? Surtout pour nous, qui vivons au centre de cette alliance, qui en consommons quotidiennement les fruits… | |
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==== Un militantisme vintage ==== | |
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Cette fameuse « trahison des dirigeants arabes », n’est-elle pas usée jusqu’à la corde ? Ce lieu commun n’aurait-il pas plutôt sa place avec les robots Moulinex et les tables en formica, dans les souvenirs d’une époque révolue ? Mais de la débâcle de 1967, on refuse de faire le deuil. Ce souvenir-là est indémodable, il jouit d’une cure de jouvence perpétuelle, comme en témoigne l’enthousiasme toujours renouvelé sur les campus étudiants. Dans cette situation, les musulmans peuvent-ils être tout à fait innocents ? | |
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La trahison de notre humanisme, ne s’est-elle pas jouée aussi dans ce que sont devenus aujourd’hui les sciences sociales : un vieux robot moulinex qui ne fonctionne plus depuis longtemps mais qu’on continue d’agiter, avec les effets performatifs attendus, ritualisés, auprès d’une clientèle des quartiers populaires. Et en face la colère du « petit blanc », toute aussi ritualisée, qui consiste à prendre le contre-pied de l’humanisme, de l’écologie, de l’égalité homme-femme etc.. Je répète ma question : les musulmans peuvent-ils être tout à fait innocents dans cette situation, qui appelle impérieusement une forme de //médiation// ? | |
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Si l’on cherche à comprendre où réside aujourd’hui le sionisme musulman, ne faut-il pas chercher dans l’attachement de notre communauté à un islam-moulinex, étroitement lié à la phase des indépendances nationales ? Un islam qui a perdu toute capacité de médiation, simplement parce qu’il fait d’autres usages du texte. Dans le sionisme musulman, le verset coranique ne dénote jamais autre chose que l’appartenance. Au fond, on pourrait remplacer le Coran par //Kalila et Dimna//, n’importe quel texte rédigé en arabe, et érigé en folklore national. Cela viendra peut-être… | |
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Et c’est dans ce contexte qu’intervient la proposition théologique du Rabbin Oury Cherki : la reconnaissance du judaïsme par l’islam, en tant que sa matrice d’origine.\\ | |
La réfutation de cette thèse, en temps normal, ne devrait pas prendre plus d’une phrase ou deux. Alors pourquoi les musulmans occidentaux en sont-ils incapables ? Pourquoi préfèrent-ils enflammer les campus, plutôt que de fermer la porte une fois pour toute à cette idée, poliment mais fermement ? Dans ce rêve Moulinex, qu’est-ce qui continue de se jouer pour eux ? | |
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====== Redéfinir le sionisme ====== | |
Il faut se donner une autre définition du terme, prendre de la hauteur sur la période qui a vu sa réalisation historique dans l’État d’Israël, sortir des ornières creusées par le « conflit israélo-palestinien ». | |
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===== Par la théologie ===== | |
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| ==== Parole incréée, délocalisée ==== |
Pour un musulman, le Coran est la parole d’Allah. Les théologiens de l’islam sunnite ont insisté depuis le IIIe siècle (IXe siècle de l’ère chrétienne), que la parole coranique était //incréée//. C’est-à-dire, dans la logique analytique du Moyen-Âge, que cette parole n’est rattachée ni à un lieu, ni à un temps donné.\\ | Pour un musulman, le Coran est la parole d’Allah. Les théologiens de l’islam sunnite ont insisté depuis le IIIe siècle (IXe siècle de l’ère chrétienne), que la parole coranique était //incréée//. C’est-à-dire, dans la logique analytique du Moyen-Âge, que cette parole n’est rattachée ni à un lieu, ni à un temps donné.\\ |
Bien sûr, chaque verset a été révélé quelque part en Arabie et dans des circonstances particulières, souvent retenues par la tradition. Mais en tant que parole de Dieu, l’énoncé en lui-même n’a pas de temps et pas de lieu.\\ | Bien sûr, chaque verset a été révélé quelque part en Arabie et dans des circonstances particulières, souvent retenues par la tradition. Mais en tant que parole de Dieu, l’énoncé en lui-même n’a pas de temps et pas de lieu.\\ |
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C’est là une caractéristique de l’ère postcoloniale[[..:..:glossaire:postcolonial|*]], de l’ordre international fondé en 1945, autour de la superpuissance des Etats-Unis. Dans cette nouvelle ère, l’étude de l’islam ne relève plus de l’Orientalisme, discrédité par sa collusion avec le projet colonial, mais de l’anthropologie : on pourrait connaître l’islam par //observation participante//[[..:..:glossaire:observation_participante|*]]. Et les musulmans eux-mêmes, à l’heure où ils se relèvent de l’humiliation coloniale, veulent en être persuadés.\\ | C’est là une caractéristique de l’ère postcoloniale[[..:..:glossaire:postcolonial|*]], de l’ordre international fondé en 1945, autour de la superpuissance des Etats-Unis. Dans cette nouvelle ère, l’étude de l’islam ne relève plus de l’Orientalisme, discrédité par sa collusion avec le projet colonial, mais de l’anthropologie : on pourrait connaître l’islam par //observation participante//[[..:..:glossaire:observation_participante|*]]. Et les musulmans eux-mêmes, à l’heure où ils se relèvent de l’humiliation coloniale, veulent en être persuadés.\\ |
Au fil des décennies cependant, cette conception a montré ses limites, et nous nous débattons aujourd’hui dans ses contradictions. En réalité, la parole d’Allah n’a rien à voir avec « l’anthropologie de l’islam »[[..:..:glossaire:anthropologie_de_l_islam|*]], et tout à voir avec l’//ethnographie//[[..:..:glossaire:ethnographie|*]] : une pratique des sciences sociales //généralistes// à partir d’une situation d’observation //précise//. | Au fil des décennies cependant, cette conception a montré ses limites, et nous nous débattons aujourd’hui dans ses contradictions. |
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===== Par le contemporain ===== | |
La parole d’Allah est avec moi, dès lors que je pense l’universel à partir d’un lieu particulier. Si ma démarche est sincère, cette parole s’impose naturellement par sa pertinence, se révèle à moi de manière renouvelée ; elle pense avec moi et m’accompagne, où que je sois. | ==== Le témoignage est toujours situé ==== |
| En réalité, ce n’est pas la parole d’Allah qu’il faut localiser, mais l’observateur. La parole d’Allah n’a rien à voir avec « l’anthropologie de l’islam »[[..:..:glossaire:anthropologie_de_l_islam|*]], et tout à voir avec l’//ethnographie//[[..:..:glossaire:ethnographie|*]] : une pratique des sciences sociales //généralistes// à partir d’une situation d’observation //précise//. Dès lors que je pense l’universel à partir d’un lieu particulier, la parole d’Allah est avec moi. Si ma démarche est sincère, cette parole s’impose naturellement par sa pertinence, se révèle à moi de manière renouvelée ; elle pense avec moi et m’accompagne, où que je sois. |
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Ensuite se pose le problème de l’institution : quand le musulman monte sur le minbar, qu’il construit son prêche, mandaté par une mosquée ou une association, dont il s’efforce de réaliser les attentes. On constate le plus souvent, dans ce genre de situation, que la parole d’Allah est utilisée comme une digue, pour capitaliser sur la présence des fidèles à cet endroit. Le prêche du vendredi apparaît alors comme la dernière portion d’un territoire morcelé, grignoté par la colonisation toujours plus envahissante de la modernité - mais aussi par les démissions successives des musulmans eux-mêmes, démissions intellectuelles en premier lieu. | Ensuite se pose le problème de l’institution : quand le musulman monte sur le minbar, qu’il construit son prêche, mandaté par une mosquée ou une association, dont il s’efforce de réaliser les attentes. On constate le plus souvent, dans ce genre de situation, que la parole d’Allah est utilisée comme une digue, pour capitaliser sur la présence des fidèles à cet endroit. Le prêche du vendredi apparaît alors comme la dernière portion d’un territoire morcelé, grignoté par la colonisation toujours plus envahissante de la modernité - mais aussi par les démissions successives des musulmans eux-mêmes, démissions intellectuelles en premier lieu. |
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Enfin, vient le problème de la violence.\\ | Enfin se pose le problème de la violence.\\ |
Après chaque attentat se pose la question d’une //relation causale// entre cette tendance observée sur les minbars - les « prêcheurs de haine », comme dit la presse à sensation - et le passage à l’acte d’un musulman, ou d’un groupe de musulmans particulier.\\ | Après chaque attentat se pose la question d’une //relation causale// entre cette tendance observée sur les minbars - les « prêcheurs de haine », comme dit la presse à sensation - et le passage à l’acte d’un musulman, ou d’un groupe de musulmans particulier. |
Dans ce genre de situation, une majorité de musulmans choisissent instinctivement de se taire, pour ne pas donner prise. Mais certains musulmans s’expriment, et notre espace public hyper-médiatisé se trouve rapidement saturé par une cacophonie, qui présente toujours les mêmes contours :\\ | Dans ce genre de situation, une majorité de musulmans choisissent instinctivement de se taire, pour ne pas donner prise. Mais certains musulmans s’expriment, et notre espace public hyper-médiatisé se trouve rapidement saturé par une cacophonie, qui présente toujours les mêmes contours :\\ |
<wrap nif>• d’un côté, ceux qui expliquent « ce n’est pas ça l’islam », l’auteur de l’acte en question n’a pas compris la parole d’Allah, qui se posent en alternative aux « prêcheurs de haine » ;</wrap>\\ | <wrap nif>• d’un côté, ceux qui expliquent « ce n’est pas ça l’islam », l’auteur de l’acte en question n’a pas compris la parole d’Allah, qui se posent en alternative aux « prêcheurs de haine » ;</wrap>\\ |
[[..:..:valoriser:merah:accueil|Mon chantier Merah]] (2019) | [[..:..:valoriser:merah:accueil|Mon chantier Merah]] (2019) |
</WRAP> | </WRAP> |
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==== Ce qui doit être dit sur Gaza ==== | ==== Ce qui doit être dit sur Gaza ==== |
Souligner ce fait anthropologique, l’écologie mentale[[..:..:glossaire:ecologie_mentale|*]] d’une situation, n’a rien à voir avec valider une lecture particulière du texte, ou une idéologie supposée. Dire que le Coran a permis à un Palestinien de creuser un tunnel sans être repéré des services israéliens, ne fait pas de moi un complice du tunnel, ni du système de surveillance, ne me positionne pas plus dans un camps que dans l’autre. C’est juste un fait : vous voyez les musulmans faire toujours les mêmes gestes, répéter toujours les mêmes paroles, et soudain quelque chose vous saute au visage, que vous n’avez pas vu venir. | Souligner ce fait anthropologique, l’écologie mentale[[..:..:glossaire:ecologie_mentale|*]] d’une situation, n’a rien à voir avec valider une lecture particulière du texte, ou une idéologie supposée. Dire que le Coran a permis à un Palestinien de creuser un tunnel sans être repéré des services israéliens, ne fait pas de moi un complice du tunnel, ni du système de surveillance, ne me positionne pas plus dans un camps que dans l’autre. C’est juste un fait : vous voyez les musulmans faire toujours les mêmes gestes, répéter toujours les mêmes paroles, et soudain quelque chose vous saute au visage, que vous n’avez pas vu venir. |
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Le problème, c’est que les musulmans ne savent plus dire cette chose toute simple, ne savent plus l’exprimer, à force de s’enferrer dans leurs propres contradictions discursives. D’ailleurs ils n’y croient plus vraiment : combien m’ont expliqué qu’Israël avait tout vu venir, qu’ils ont laissé la chose arriver exprès… Et l’instant d’après ils changent d’avis : //« Allah a voilé les coeurs des infidèles »// - on cite des versets coraniques de la manière la plus sotte, la plus grossière qui soit. Le musulman sioniste n’a aucune tenue. | Le problème, c’est que les musulmans ne savent plus dire cette chose toute simple, ne savent plus l’exprimer, à force de s’enferrer dans leurs propres contradictions discursives. Face à cette puissance de la Parole, la Communauté elle-même est incrédule. Elle a ses propres analystes en chambre : //« Les Israéliens savaient, ils ont laissé faire exprès… »// - qui changent d’avis l’instant d’après : //« Allah a voilé les cœurs des infidèles »//. On cite des versets coraniques avec tapage et grandiloquence, mais en réalité on n’y croit pas vraiment. Les musulmans vivent surtout une crise de la foi. |
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===== Par l’histoire ===== | Il faut donc commencer par poser ce fait : Oui, le Livre les a aveuglés. Maintenant que fait-on ? |
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| ===== Témoigner pour le Texte ===== |
| Chaque tragédie terroriste nous ramène au matin du 12 septembre 2001. Un matin qui s’éternise, récapitulant tous les malheurs de l’Irak dans les années 2000 : comme si Gaza devait les traverser à son tour, au cours d’une longue matinée de 600 jours. Et nous toujours cloués au lit, tétanisés, toujours incapables de nous lever. |
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| Quelque part dans ses six cent pages, le Coran proclame : //« Ainsi avons-nous fait de vous une communauté médiane… »// (2:143). Pas besoin d’être musulman pour entendre cet appel. Il faut que se lèvent ceux qui, //pour une raison ou pour une autre//, sont en position de faire médiation. Ceux qui n’ont aucune culpabilité de ne pas avoir été dans les rangs du Hamas, d’entretenir un autre point de vue sur le monde, n’étant ni Palestiniens ni Irakiens. Ceux qui, //pour une raison ou pour une autre//, sont en position de plonger au cœur de cette situation, entre le texte et ses lecteurs, entre le texte et ses lectures. En position de témoigner à la fois pour le texte lui-même, et pour la lecture qui en a été faite dans une situation donnée : sans la condamner à l’avance, mais en refusant absolument d’y réduire le texte. Parce qu’avant le cataclysme, l’explosion aveuglante, ceux-là regardaient déjà le monde, et le texte les aide à s’en souvenir un peu. |
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| Ce qu’il nous faut comprendre, c’est l’incapacité chronique du mouvement pro-palestinien actuel à opérer cette médiation entre le texte et ses lectures. |
| Usé sans doute par trois décennies de palabres anti-terroristes : //« Le Coran justifie-t-il ou non la violence. »//. Comment les musulmans se sont-ils laissés enfermer dans cette question-piège, dont on vient de voir qu’elle n’expliquait rien ? Peut-être parce que nous avons perdu le sens //épistémique//[[..:..:glossaire:epistemologie|*]] de la médiation coranique, qui s’enracine dans la //configuration//[[..:..:glossaire:configuration|*]] judéo-chrétienne de la révélation. |
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| ==== Les grands travaux théologiques ==== |
| Car en face pendant ce temps, les grands travaux théologiques se poursuivent aux yeux de tous. Parallèlement aux tapis de bombes, aux pelleteuses travaillant sans relâche pour retourner la terre du petit territoire, le [[wpfr>Ouri Cherki|Rabbin Oury Cherki]] y va de sa //[[https://noahideworldcenter.org/fr/blogs/news/islam1|Lettre ouverte à l'islam]]// (janvier 2024), prolongée deux mois plus tard dans une //[[https://noahideworldcenter.org/fr/blogs/news/islam2|Lettre ouverte aux Sages de l'islam]]// (mars 2024) : |
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| > //« Dans la première partie de cette lettre, j’ai montré comment l’islam pouvait devenir une religion légitime du point de vue du judaïsme et comment ces deux religions pouvaient coopérer efficacement. Cela dépend de la reconnaissance du judaïsme par l’islam, comme une religion comprenant des commandements spécifiques donnés par Dieu aux juifs et comme possédant un message universel destiné à tout homme. Bien entendu, d’autres problèmes restent à résoudre pour la création d'un pont de paix et de foi entre les enfants d'Abraham. »// |
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| En somme, le Rabbin demande la reconnaissance du judaïsme par l’islam, en tant que sa matrice d’origine. La réfutation de cette thèse, en temps normal, ne devrait pas prendre plus d’une phrase ou deux : pour nous <wrap alsqr>l’islam est la matrice</wrap> du <wrap hurma>christianisme</wrap> et du <wrap nif>judaïsme rabbinique</wrap>, non l’inverse. Parce que la révélation coranique a su faire //médiation// dans la controverse qui divisait alors le monde monothéiste, depuis le passage sur Terre de Jésus ('Îsâ). Il y a là fait historique indéniable, inscrit dans les institutions, les mots, l'histoire des idées. Un fait aussi indéniable que la césure entre l’Antiquité et le Moyen-Âge, ou que l’hétérogénéité linguistique de la Bible (hébreux) et du Nouveau Testament (grec tardif) : des faits auxquels les puissances financières d'Israël et des Émirats ne pourront jamais rien…\\ |
| Alors pourquoi les musulmans occidentaux sont-ils incapables de rétablir cette vérité élémentaire ? Pourquoi préfèrent-ils enflammer les campus, plutôt que de fermer la porte une fois pour toute à cette idée, poliment mais fermement ? Parce que cette position théologique n’était tenable que dans la mesure où l’islam conservait une vocation //médiatrice//, à laquelle les musulmans diplômés[[..:..:glossaire:musulman_diplome|*]] ont carrément cessé d’aspirer ([[#Les musulmans sont sionistes aussi]]). |
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<WRAP center round todo> | <WRAP center round todo> |
Dernier morceau rédigé aujourd'hui (11 juin), initialement intitulé : **Les musulmans sont sionistes aussi**.\\ | (Extrait ci-dessous pour info, à commenter plus longuement) |
(Il y a des redites qu'il faudra remanier). | |
</WRAP> | </WRAP> |
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//Les musulmans sont sionistes aussi.//\\ | Un an plus tard, le Rabbin Oury Cherki n’a toujours pas changé d’avis (interview vidéo de mai 2025, toujours depuis Jérusalem) : |
C’est un élément essentiel pour comprendre la situation actuelle : le quiproquo persistant sous-jacent au massacre. | {{anchor:cherky}} |
| {{ youtube>RiQcat5qCVg?start=1927&end=2095 }} |
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==== La confusion du Rabbin Cherki ==== | > //« Il y a une mécompréhension de ce qui se passe aujourd’hui entre l’Occident et l’islam, avec Israël au milieu de tout ça. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, il y a une remise en question de l’ordre mondial par l’islam, dont l’avancée est le Hamas et Daech. Il faut bien comprendre que cette lutte qu’Israël mène, elle doit être gagnée si on veut pouvoir entretenir un dialogue constructif et positif avec l’islam. Or c’est de ça dont il est question aujourd’hui. Ce n’est pas simplement le fait de résister à une violence barbare locale. C’est toute une idéologie, et c’est de ça dont il est question.// |
| > //Alors évidemment, si c’est le judaïsme contre l’islam, et que l’islam c’est véritablement l’islam, alors je dois peut-être me poser la question de qui je suis en tant que juif. Ça va me donner une responsabilité dont je veux prendre la fuite - parce que ça voudrait dire que je fais partie d’un évènement biblique…// |
| > //L’État d’Israël est compris dans le subconscient collectif de la civilisation actuelle comme étant un évènement biblique en pleine modernité. Or si je suis défini comme participant à un évènement biblique, je dois repenser mon identité. Beaucoup de personnes en Israël, qui se disent laïques, m’ont dit //“Les évènements du 7 octobre m’ont amené à me repositionner, à repenser mon identité juive. Mais attention : je suis athée…”// C’est-à-dire que l’athéisme est nécessaire pour éviter l’éventualité - qu'à Dieu ne plaise - de devenir religieux. Ce qui est touché ici, c’est le point névralgique de l’identité dans ce qu’elle a de plus concentré. C’est ça qui va engendrer des réactions tout à fait irrationnelles, comme quoi Israël ferait des crimes contre l’Humanité etc.. »// |
| > - Le présentateur (un peu gêné…) : //« Oui, irrationnelles – maintenant quand on voit aussi les télévisions françaises par exemple, les grands médias, et qu’on voit ces images, on peut imaginer qu’effectivement… »// |
| > - //« Oui mais il y a une manipulation absolument extraordinaire ! Vous savez qu’en Allemagne nazie, il y avait certainement des enfants qui ont été bombardés avec leur poupée dans leurs lits, lors de la conquête, le démantèlement de l’Allemagne nazie par les Américains. C’est-à-dire, on pourra toujours chercher une scène qui va vous faire tirer des larmes, qui va vous ébranler émotionnellement etc., sans se poser la question de savoir : Mais qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que c’est que ce conflit ? Contre qui on lutte ? etc.. »// |
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Prenons cette déclaration du [[wpfr>Ouri Cherki|Rabbin Oury Cherki]], théologien francophone et fervent soutien du gouvernement israélien actuel ([[https://youtu.be/RiQcat5qCVg?start=1927&end=2095|interview vidéo]]) : | Donc ce à quoi nous assistons - ne vous y trompez pas - c’est la création d'un pont de paix et de foi entre les enfants d'Abraham. |
> //« Il y a une mécompréhension de ce qui se passe aujourd’hui entre l’Occident et l’islam, avec Israël au milieu de tout ça. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, il y a une remise en question de l’ordre mondial par l’islam, dont l’avancée est le Hamas et Daech. Il faut bien comprendre que cette lutte qu’Israël mène, elle doit être gagnée si on veut pouvoir entretenir un dialogue constructif et positif avec l’islam. Or c’est de ça dont il est question aujourd’hui. Ce n’est pas simplement le fait de résister à une violence barbare locale. C’est toute une idéologie, et c’est de ça dont il est question. »// | |
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Bien. Est-ce que ce ne serait pas plus clair pour tout le monde, pour désigner « toute cette idéologie qui empêche un dialogue constructif entre l’Occident et l’islam », si on utilisait l’expression //sionisme musulman// ? Est-ce que ce ne serait pas plus constructif, si les musulmans commençaient par reconnaître le problème en eux-mêmes, en le désignant de ce mot honni ? | ==== Les alliés d’Israël sont-ils sionistes ? ==== |
Cela nous empêcherait de brandir des équations simplistes, du genre « sionisme = Daech », en projetant systématiquement nos contradictions sur l’extérieur. Non, Daech n’est pas un mouvement sioniste. D’ailleurs même l’extrême-droite israélienne n’est peut-être pas aussi sioniste qu’elle le croit. | Comme on le sait, Israël a ses alliés dans la région : notamment les Emirats Arabes Unis qui promeuvent activement cette vision, à grands renforts de [[https://youtu.be/XEYflyNkWbA?feature=shared|projets architecturaux futuristes]], pour accueillir les rencontres entre le cheikh d’Al-Azhar et le Pape François - ainsi que par l’épuration systématique des élites religieuses dans le Yémen voisin, où les Emirats interviennent militairement depuis 2015. Dans toutes les régions sous leur contrôle, les EAU organisent l’exécution de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un frère musulman. Et les génies qui nous gouvernent en France, comme on le sait, mettent un zèle particulier à leur emboiter le pas… |
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| Pour autant, est-ce vraiment là que réside le sionisme musulman ? |
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| L’explication n’est-elle pas un peu absurde ? Tout serait donc la faute d’un minuscule État du Golfe ? Certes doté d’une réelle puissance financière, et d’une capacité d’intervention militaire éprouvée, mais cela suffit-il pour remodeler la théologie monothéiste à sa guise ? Et d’ailleurs, est-ce vraiment là son objectif ? |
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| Cette « théologie » émiratie a pour seule ligne de mire de « coopérer efficacement » avec ses voisins (pour reprendre la formule du Rabbin Cherki), au sein d’une alliance géopolitique donnée. C’est ce que recherche toute organisation étatique quelle qu’elle soit, peut-on vraiment le lui reprocher ? Oui bien sûr, les crimes commis à Gaza et au Yémen sont suffisamment avérés, on peut et on doit les leur reprocher. Mais au-delà, cette alliance mérite-t-elle vraiment notre détestation ? Surtout pour nous, qui vivons au centre de cette alliance, qui en consommons quotidiennement les fruits… |
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| ==== Un militantisme vintage ==== |
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| Cette fameuse « trahison des dirigeants arabes », n’est-elle pas usée jusqu’à la corde ? Ce lieu commun n’aurait-il pas plutôt sa place avec les robots Moulinex et les tables en formica, dans les souvenirs d’une époque révolue ? Mais de la débâcle de 1967, on refuse de faire le deuil. Ce souvenir-là est indémodable, il jouit d’une cure de jouvence perpétuelle, comme en témoigne l’enthousiasme toujours renouvelé sur les campus étudiants. Dans cette situation, les musulmans peuvent-ils être tout à fait innocents ? |
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| La trahison de notre humanisme, ne s’est-elle pas jouée aussi dans ce que sont devenus aujourd’hui les sciences sociales : un vieux robot moulinex qui ne fonctionne plus depuis longtemps mais qu’on continue d’agiter, avec les effets performatifs attendus, ritualisés, auprès d’une clientèle des quartiers populaires. Et en face la colère du « petit blanc », toute aussi ritualisée, qui consiste à prendre le contre-pied de l’humanisme, de l’écologie, de l’égalité homme-femme etc.. Je répète ma question : les musulmans peuvent-ils être tout à fait innocents dans cette situation, qui appelle impérieusement une forme de //médiation// ? |
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| Si l’on cherche à comprendre où réside aujourd’hui le sionisme musulman, ne faut-il pas chercher dans l’attachement de notre communauté à un islam-moulinex, étroitement lié à la phase des indépendances nationales ? Un islam qui a perdu toute capacité de médiation, simplement parce qu’il fait d’autres usages du texte. Dans le sionisme musulman, le verset coranique ne dénote jamais autre chose que l’appartenance. Au fond, on pourrait remplacer le Coran par //Kalila et Dimna//, n’importe quel texte rédigé en arabe, et érigé en folklore national. Cela viendra peut-être… |
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| ===== Les musulmans sont sionistes aussi ===== |
| C’est un élément essentiel pour comprendre la situation actuelle, le quiproquo persistant sous-jacent au massacre : //Les musulmans sont sionistes aussi.//\\ |
| Et c’est précisément ce que pointent les théologies néoconservatrices (voir les déclarations du rabbin Cherky [[#cherky|ci-dessus]]) : « toute cette idéologie qui empêche un dialogue constructif entre l’Occident et l’islam ». Désignons ce problème par l’expression //sionisme musulman//, et ce sera plus clair pour tout le monde. Que les musulmans aient le courage de faire le premier pas, de reconnaître le problème en eux-mêmes, en le désignant de ce mot honni. Cela nous empêchera de brandir des équations simplistes, du genre « sionisme = Daech », en projetant systématiquement nos contradictions sur l’extérieur. Non, Daech n’est pas un mouvement sioniste [ [[https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20250622-syrie-20-morts-dans-un-attentat-dans-une-%C3%A9glise-les-autorit%C3%A9s-d%C3%A9signent-l-ei|?]] ]. D’ailleurs même l’extrême-droite israélienne n’est peut-être pas aussi sioniste qu’elle le croit. |
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==== Sionisme et types logiques ==== | ==== Sionisme et types logiques ==== |
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Sortons des ornières discursives du « conflit israélo-palestinien », cadré par l’ordre mondial de 1945. On venait d’inscrire le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » dans la charte des Nations Unies, et chacun s’organisait dans ce cadre : les juifs de Palestine d’un côté, les Arabes de l’autre. Le mouvement sioniste avait comme perspective la création d’un État, donc « sioniste » est devenu synonyme d’israélien. Mais aujourd’hui, avec la fin de l’interventionisme américain, le défi est la disparition du cadre lui-même, et il n’est pas logique de réserver le mot « sionisme » à l’une des deux parties. | Le problème se ramène à une question de [[..:..:explorer:auteurs:gregory_bateson:theorie_des_types_logiques|types logiques]] : une catégorie ne peut pas être membre d'elle-même, sans causer de graves dysfonctionnements dans le langage et la communication. Or on utilise le mot « sionisme » pour désigner un élément particulier d'une classe de « sionismes » beaucoup plus large, qu"i mériterait beaucoup plus l'appellation. Ce dysfonctionnement est la marque de l'époque postcoloniale[[..:..:glossaire:postcolonial|*]], dont nous cherchons à sortir. |
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| Il nous faut sortir des ornières discursives du « conflit israélo-palestinien », cadré par l’ordre mondial de 1945. On venait d’inscrire le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » dans la charte des Nations Unies, et chacun s’organisait dans ce cadre : les juifs de Palestine d’un côté, les Arabes de l’autre. Le mouvement sioniste avait comme perspective la création d’un État, donc « sioniste » est devenu synonyme d’israélien. Mais aujourd’hui, avec la fin de l’interventionnisme américain, le défi est la disparition du cadre lui-même, et il n’est pas logique de réserver le mot « sionisme » à l’une des deux parties. |
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L’incapacité des musulmans à reconnaître le sionisme en eux-mêmes, voilà la clé de voute de la crise actuelle. Et je parle bien entendu des musulmans européens, parce que le sionisme est étroitement lié à l’Europe. Plutôt que de l’enfermer dans une religion particulière, le mot doit être compris comme désignant une //[[fr:explorer:auteurs:gregory_bateson:main|relation]]// (c’est là un mantra de la critique batesonienne[[..:..:glossaire:batesonien|*]]). | L’incapacité des musulmans à reconnaître le sionisme en eux-mêmes, voilà la clé de voute de la crise actuelle. Et je parle bien entendu des musulmans européens, parce que le sionisme est étroitement lié à l’Europe. Plutôt que de l’enfermer dans une religion particulière, le mot doit être compris comme désignant une //[[fr:explorer:auteurs:gregory_bateson:main|relation]]// (c’est là un mantra de la critique batesonienne[[..:..:glossaire:batesonien|*]]). |
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===== Par l’épistémologie ===== | ===== Battre le sionisme par la critique batesonienne ===== |
J’avance cette proposition simple : la religion du musulman sioniste est un islam rattrapé par le dualisme[[..:..:glossaire:dualisme|*]] des épistémologies modernes, qui opposent l’esprit et le corps, la mathématique et la matière qu’elle prétend modéliser. Un islam installé dans une subjectivité de diplômé, tout à fait à l’aise dans cette stratification éducative qui caractérise aujourd’hui tous les grands pays développés (incarnée en France par le Président Macron, peut-être malgré lui). Cette stratification éducative, où les diplômés n’en finissent pas de « faire de la pédagogie » envers le reste du corps national, d’une manière qui frise souvent la débilité. Le musulman sioniste constate cette évolution, il est atterré lui-aussi, mais il la perçoit comme un drame qui lui est extérieur. | J’avance cette proposition simple : la religion du musulman sioniste est un islam rattrapé par le dualisme[[..:..:glossaire:dualisme|*]] des épistémologies modernes, qui opposent l’esprit et le corps, la mathématique et la matière qu’elle prétend modéliser. Un islam installé dans une subjectivité de diplômé, tout à fait à l’aise dans cette stratification éducative qui caractérise aujourd’hui tous les grands pays développés (incarnée en France par le Président Macron, peut-être malgré lui). Cette stratification éducative, où les diplômés n’en finissent pas de « faire de la pédagogie » envers le reste du corps national, d’une manière qui frise souvent la débilité. Le musulman sioniste constate cette évolution, il est atterré lui-aussi, mais il la perçoit comme un drame qui lui est extérieur. |
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Pour lui, l’Europe n’est pas une épreuve (fitna) - avec toute la richesse sémantique de ce mot, qui signifie tantôt un malheur et tantôt une bénédiction, l’essentiel étant que le musulman rendra des comptes au Jour Dernier sur sa conduite dans celle-ci. La notion d’épreuve s’inscrit dans une vision monothéiste : l’idée d’un Dieu unique, omniscient et omnipotent, tenant l’homme comptable de ses actions. Mais pour le musulman sioniste, l’Europe est tantôt une subsistance (//rizq//) et tantôt une calamité (//musîba//), chacune relevant d’un niveau de réalité différent - donc aucune raison de penser les deux ensembles, comme dans la notion d’épreuve. Le dieu du Bien (qu’ils appellent « Allah », totem de la Communauté) est trop bon pour vouloir le Mal, spontanément mis au compte d’autres entités surnaturelles, tout à fait réelles dans la subjectivité du croyant. | Pour lui, l’Europe n’est pas une épreuve (fitna) - avec toute la richesse sémantique de ce mot, qui signifie tantôt un malheur et tantôt une bénédiction, l’essentiel étant que le musulman rendra des comptes au Jour Dernier sur sa conduite dans celle-ci. La notion d’épreuve s’inscrit dans une vision monothéiste : l’idée d’un Dieu unique, omniscient et omnipotent, tenant l’homme comptable de ses actions. Mais pour le musulman sioniste, l’Europe est tantôt une subsistance (//rizq//) et tantôt une calamité (//musîba//), chacune relevant d’un niveau de réalité différent - donc aucune raison de penser les deux ensembles, comme dans la notion d’épreuve. Le dieu du Bien (qu’ils appellent « Allah », totem de la Communauté) est trop bon pour vouloir le Mal, spontanément mis au compte d’autres entités surnaturelles, tout à fait réelles dans la subjectivité du croyant. |
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==== Mémoire juive / oubli musulman ==== | ==== L’impossible identification au judaïsme ==== |
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Cette description ne manquera pas d’évoquer une certaine vision du monde juive, dans son ambivalence envers la chrétienté environnante - notamment sous la chrétienté d’ancien régime, lorsqu’aucune émancipation n’était concevable, ou dans l’Est de l’Europe (judaïsme ashkénase).\\ Cette convergence n’est évidemment pas un hasard, mais il faut aussi pointer la différence : lorsque le judaïsme se replie sur cette posture, dans les phases de pogroms et de persécutions, il trouve une richesse culturelle profonde, sédimentée par des siècles d’expérience subjective, parce que le judaïsme //est// cela : le fait de continuer à lire la bible hébraïque, dans un monde qui a basculé dans le christianisme.\\ | Cette description ne manquera pas d’évoquer une certaine vision du monde juive, dans son ambivalence envers la chrétienté environnante - notamment sous la chrétienté d’ancien régime, lorsqu’aucune émancipation n’était concevable, ou dans l’Est de l’Europe (judaïsme ashkénase).\\ Cette convergence n’est évidemment pas un hasard, mais il faut aussi pointer la différence : lorsque le judaïsme se replie sur cette posture, dans les phases de pogroms et de persécutions, il trouve une richesse culturelle profonde, sédimentée par des siècles d’expérience subjective, parce que le judaïsme //est// cela : le fait de continuer à lire la bible hébraïque, dans un monde qui a basculé dans le christianisme.\\ |
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Un islam rattrapé par le dualisme des épistémologies modernes, avons-nous dit. Ou plus exactement, qui conçoit le fait de s’y maintenir comme une vertu en soi. Pour le musulman diplômé il y aurait là une forme de piété, inhérente à la participation au projet (sioniste) de « faire avancer la cause de l’islam ». Peu importe que le Moyen Orient s’enfonce dans les guerres, dans les crises humanitaires de tous les superlatifs : il n’est jamais responsable de rien, ayant perdu la première responsabilité de toutes (dans une perspective monothéiste), celle de ses propres //représentations// ([[fr:explorer:auteurs:gregory_bateson:11_citations#GB8]]). | Un islam rattrapé par le dualisme des épistémologies modernes, avons-nous dit. Ou plus exactement, qui conçoit le fait de s’y maintenir comme une vertu en soi. Pour le musulman diplômé il y aurait là une forme de piété, inhérente à la participation au projet (sioniste) de « faire avancer la cause de l’islam ». Peu importe que le Moyen Orient s’enfonce dans les guerres, dans les crises humanitaires de tous les superlatifs : il n’est jamais responsable de rien, ayant perdu la première responsabilité de toutes (dans une perspective monothéiste), celle de ses propres //représentations// ([[fr:explorer:auteurs:gregory_bateson:11_citations#GB8]]). |
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