« (…) Sète est pour moi comme une grande demeure isolée à la campagne, où les drogués à l'héroïne s'enferment pour réapprendre à vivre. Sur les murs du château, qui ont été repeints en blanc, j'ai déjà projeté quantité d'hallucinations baroques, comme au fil de mes promenades, dans chaque recoin du parc arboré. Mon château est peuplé de psychiatres marocains déguisés en ouvriers, qui repeignent les murs et entretiennent le parc, pour mieux observer les malades à leur insu. (…) »
Un texte de cinq pages rédigé en décembre 2014, au terme d'une première année à Sète. Une sorte de point d'étape, ou plutôt une longue confession adressée aux Yéménites, via Essam al-Mohaya (cité en exergue et à la page 3, qui venait de traduire en arabe mon article « Le réveil des piémonts »). J'y exprime sans détour les ambiguïtés de cette démarche d'installation, qui au fond ne pouvait qu'échouer ou finir en psychodrame…
(Voir la page Pourquoi je suis Gilet Jaune en décembre 2019, et encore un an plus tard mon psychodrame avec l'Alternative Sétoise).
Mais que pouvais-je faire d'autre? En 2012, j'avais échoué à mémoriser surat al-baqara : la greffe n'avait simplement pas pris intellectuellement, dans le milieu des musulmans diplômés… Il fallait bien que je lâche la maison de ma mère, en région parisienne : aller vivre quelque part pour renouer avec le réel - mais est-ce seulement possible? Qu'est-ce que le réel, au juste? Toute l'ambiguïté est là…
Ou bien retourner au Yémen, qui s'enfonçait alors dans le marasme? Décembre 2014, c'était juste avant la démission du Président Hadi ( ) et la prise de pouvoir des rebelles houthis, qui cependant étaient déjà dans la Capitale Sanaa depuis le mois de septembre. Les Yéménites avaient « d'autres chats à fouetter », bien évidemment, et d'abord survivre - mais ce drame n'était plus le mien.
En relisant ce texte dix ans après, deux remarques : (1) je ne fais aucune référence à octobre 2003, à toutes mes histoires d'« intersexuation »* développées après décembre 2017, pour aboutir finalement à une analyse en termes de sevrage*. Avec la métaphore de l'héroïne, je n'étais pas très loin… À la différence que (2) je ne parle pas du tout de Ziad! Je suis encore complètement centré sur moi, sur mon expérience de Saint Martyr du fonctionnement académique. En lisant ce texte, on comprend aussi que la guerre était pour moi inconcevable - comme j'allais l'exprimer quelques mois plus tard dans un billet Mediapart, également traduit par Essam : « Au Yémen la guerre civile n'aura pas lieu » (23 mars 2015).
Mon texte est en fait un pastiche du livre A narrative of the treatment experienced by a Gentleman during a state of mental derangement…, publié en 1838 et rédécouvert par Bateson en 1962 (voir présentation en dessous). Mais le seul « schizophrène » de l'histoire à ce stade, c'est moi! Et quand je communie avec les Yéménites, je pense plutôt à Yazid, qui a renoué un an plus tôt. Ziad vient de se faire tirer dessus par son frère, mais pour moi à ce stade il a disparu du tableau. Je n'ai pas besoin de lui pour raconter mon histoire, et je serais bien incapable d'expliquer pourquoi il se prend pour Jésus!
J'ai ré-investi Ziad (et la dimension sexuelle de l'histoire) seulement plus tard, à mesure que j'adoptais une posture plus critique envers la Communauté, notamment envers les diplômés*. Là c'était avant la guerre, avant les attentats, et mes déboires personnels n'en étaient qu'à leurs débuts.
Perceval le fou. Autobiographie d'un schizophrène (1830-1832)
(Traduction française de 1975. Le titre donné par Gregory Bateson est : Perceval's narrative: a patient's account of his psychosis 1830-32).
Quatrième de couverture :
« Une autre fois, mes esprits se mirent à me chanter un air nouveau : “Tu es dans un asile de fous, tra la la… Si tu n'y es pas, tu y es quand même, tra la la”… Mes voix m'avaient trompé si souvent que je ne voulais plus les croire alors qu'elles me disaient la vérité… J'en vins à comprendre que j'étais toujours sur terre, mais dans des circonstances extrêmement pénibles puisque je me trouvais dans un asile de fous… »Ainsi parlait John Thomas Perceval (en) en 1835, dans un récit qui constitue un réel apport à notre connaissance de la schizophrénie. Au cours de ses luttes intérieures pour comprendre son expérience de psychotique, Perceval découvrit non seulement ce que nous appellerions aujourd'hui l'inconscient freudien, mais aussi ce type de phénomène que Freud appela par la suite la “psychopathologie de la vie quotidienne”. On s'apercevra, avec la description qu'il fait des traitements qu'on lui fit subir, qu'à quelques détails près la psychiatrie moderne n'a pas tellement évolué : la camisole chimique n'a fait que remplacer la camisole de force et les barbituriques et psychotropes, les chaînes et les bains glacés…