:monothéisme
= Présentation de la matrice monothéiste* dans un langage plus simple, s'appuyant sur le crédo musulman ordinaire.
Premier jet le 19 mai 20231)
Quel est le lien entre :
Le lien entre toutes ces choses est l’idée monothéiste.
Enfin, le lien est d’abord mon propre cheminement, vingt années d’hésitations et de tâtonnements. Mais à partir de l’idée monothéiste, il est possible de ressaisir ce cheminement, d’en retrouver la logique et de le reparcourir, reliant de cette manière un certain nombre de personnes et de contextes.
Commençons donc par définir l’idée monothéiste, en capturant son intuition primordiale, sans compliquer la chose inutilement.
Qu’est-ce que le monothéisme ? Le monothéisme est l’idée que l’homme peut être sauvé de son imperfection par une alliance (‘ahd) avec Dieu, principe ordonnateur du monde à visage humain.
En effet Dieu parle, il est capable de colère ou d’amour, de création et de connaissance… Dieu a donc bien un visage humain, sauf qu’Il est au-dessus de tout : Il connaît parfaitement l’homme pour l’avoir créé ; Il a créé aussi ce qui l’entoure, c’est pourquoi Il est omnipotent et omniscient.
Voilà le socle conceptuel commun à tous les monothéismes, une idée somme toute assez simple, extrêmement accessible.
On pourrait parler d’une dimension « démocratique » inhérente au monothéisme, dans le mesure où toute personne peut s’installer dans un dialogue subjectif avec Dieu, à partir du moment où il le décide. Pour cela, il me suffit de regarder le monde qui m’entoure en tant qu’il a été créé, et de me regarder moi-même en tant que j’ai été créé : cela suffit à ouvrir un canal de communication avec cette entité, à la fois intime et surplombante, qui se nourrit de mon expérience biologique et de mon rapport au monde.
De cette expérience cognitive découle la possibilité d’une alliance : si on L’écoute, Il nous répond… Cette expérience suffit à faire de moi un acteur de cette alliance. Cette alliance me concerne personnellement en même temps qu’elle concerne la Communauté à laquelle je suis attaché. Pour utiliser un terme à la mode, l’alliance me donne de l’agency, de la capacité d’agir…
Évidemment les choses ne sont pas si simples. Parce qu’à l’instant-même où je me « libère » par ce rapport subjectif avec Dieu, des normes font immédiatement intrusion pour l’encadrer. Ce que je peux faire, ce que je peux penser, est dorénavant cadré par la surveillance des autres croyants, voire de l’État lui-même. Et nous les Français sommes peut-être le peuple le plus réfractaire de la planète à ce type d’encadrement, par les autres et par l’État (je reviendrai ci-dessous sur cette spécificité française, au sein de la matrice monothéiste*).
Quoi qu’il en soit, on manque quelque chose de crucial si on n’aperçoit pas l’accessibilité de l’idée de Dieu : cette dimension fondamentale du monothéisme, qui va de soi pour une grande majorité de la population mondiale.
⇒ En fait pour expliquer l’Histoire, il est plus efficace de postuler cette transparence de la transcendance, pour réfléchir ensuite aux obstacles placés en travers (principe des contraintes en cybernétique*).
⇒ Dès lors, tout mon travail se ramène à une sorte de chronique réflexive de ce changement de point de vue. Par exemple au moment où j’écris cette page, cherchant à poser les bases de cette « anthropologie monothéiste », je ne peux manquer de me demander pourquoi je ne m’y suis pas attelé plus tôt? Pourquoi cette page doit-elle naître dans cette section-là, d'accès restreint? Pourquoi a-t-il fallu auparavant que j’écrive tout le reste? etc.. Toutes ces questions ont beau être situées, elles sont également pertinentes sur le fond (comme dans les « métalogues » de Gregory Bateson).
Parmi les prérogatives de Dieu, la plus importante pour nous est sa capacité d’élire des prophètes, de désigner des hommes supérieurs aux autres (des femmes aussi, plus occasionnellement) avec lesquels Il communique.
Dans le monothéisme, l’alliance passe toujours par l’évènement fondateur de l’élection. L’homme ne peut être sauvé de son imperfection qu’à travers sa mise en relation avec cet évènement fondateur : d’abord en se rapprochant de la personne du prophète, et par d’autres moyens après sa disparition (tout le problème est évidemment là…).
Cet évènement de l’élection, on peut se le représenter comme un phénomène d’émergence : une rupture de symétrie* dans l’homogénéité indistincte de l’espèce humaine, autour d’un évènement intersubjectif, qui produit à la fois une polarisation hiérarchique autour de la figure prophétique, et produit simultanément cette entité appelée « Dieu ».
Cette « explication » du monothéisme comme phénomène émergent, explique-t-elle grand-chose ? Cette représentation demeure une vue de l’esprit, dans la mesure où l’état antérieur, cette homogénéité indistincte de l’espèce humaine, n’a jamais été constatée. Encore une fois, postuler Dieu pour expliquer Rousseau est plus économique que postuler Rousseau pour expliquer Dieu. Après bien sûr, chacun fait comme il veut…
【وَمَا تَفَرَّقُوا إِلَّا مِن بَعْدِ مَا جَاءَهُمُ الْعِلْمُ بَغْيًا بَيْنَهُمْ】Coran 42:14
On l’a dit, l’alliance émerge toujours à travers l’élection d’un prophète. Et bien sûr l’évènement se reproduit, plusieurs prophètes se succèdent à des époques différentes, mais sans pour autant réinventer le monothéisme lui-même. Le cadre conceptuel est suffisamment simple et robuste pour que ces différents évènements restent apparentés. On ne connaît pas deux Abraham ! Il est utile de s’arrêter sur ce fait, de s’en émerveiller un instant, sous l’angle de l’anthropologie.
Si les groupes monothéistes divergent entre eux, c’est seulement sur la hiérarchisation entre ces évènements fondateurs. On sait par exemple que les trois principales familles actuelles dans le monothéisme ont leur « héros » respectif en la personne de Moïse, de Jésus et de Mohammed - tout en reconnaissant les prophètes antérieurs jusqu’à Abraham.
Les groupes diffèrent également, au sein de chaque tradition, sur les modalités de l’évènement fondateur principal, c’est-à-dire sur quelles bases le croyant est censé s’y rattacher. C’est ce problème qui définit la distinction entre le chi’isme, le sunnisme, ou encore les différentes formes de soufisme… ; aussi les schismes des différentes églises chrétiennes, notamment entre l’Église grecque orthodoxe et la chrétienté latine, puis dans un second temps (après l’irruption de l’islam) entre le catholicisme et les différentes formes de protestantisme.
Mais ce qui est crucial, c’est que ces différents groupes continuent d’évoluer en regard les uns des autres, avec l’agency qui leur est propre au sein de la grande alliance monothéiste. D’où la dimension matricielle du fait monothéiste.
Du coup, situer l’idée de Dieu dans le passé de l’humanité est une illusion bien singulière, assez spécifiquement européenne et peut-être française. Dans le contexte actuel de repositionnements géopolitiques, il est important d’interroger les ressorts de cette illusion, et notamment la part de responsabilité des musulmans : comment les musulmans se débrouillent-ils pour brouiller chez les autres la conscience de la matrice monothéiste, et cela est-il vraiment leur intérêt ?
— Vincent Planel 2023/05/19 11:26 : Me voilà retombé sur mon propos d’hier (theorème), donc je m’arrête là pour aujourd’hui.
Nous les Français, sommes peut-être le peuple le plus réfractaire de la planète à l’idée naturelle d’alliance. Il y a des raisons anthropologiques à cela : modèle familial nucléaire, expérience du droit romain de l’héritage, puis de l’absolutisme monarchique. Piqûre de rappel dans ce petit entretien avec Emmanuel Todd, publié récemment dans Emile magazine :
« En fait, ce qui explique le trait égalitaire de la famille française centrale, c’est qu’elle est marquée par l’héritage de Rome. On est vraiment des Latins au sens technique pour un anthropologue ; je pourrais décrire la famille romaine populaire du Bas-Empire comme nucléaire égalitaire. Avec les grandes invasions, elle s’est repliée plutôt dans les villes, puis elle a façonné la culture du Bassin parisien. Pour schématiser, je dirais “chasseur cueilleur + Rome = famille française du Bassin parisien” ».
Ces raisons anthropologiques ont conduit la France à réinventer le contrat social ; le « libre penseur » français est ainsi prédisposer à se retrouver étranger au monde, parce qu’il ne comprend pas cette chose élémentaire qu’est le monothéisme.