Sur ma représentation visuelle de l'épigenèse monothéiste, le judaïsme est la seule religion à apparaître à deux endroits :
• il y a le judaïsme lié à la chrétienté latine (à l'intérieur de la bouée qui représente l'Islam) ;
• il y a le judaïsme indépendant de la chrétienté latine (à l'extérieur de la bouée).
D'où l'hétérogénéité de l'État d'Israël (sociologique, idéologique, existentielle…), et le basculement démographique dont Netanyahou est l'emblème.
On retrouve cette structure dans deux petites phrases d'Hubert Védrine, glanées dans une interview récente (01/10/2024) :
- 8:52 « Pour les Américains, les Israëliens sont des Américains, et les Palestiniens sont des Indiens… ».
⇒ on parle ici de l'intérieur de la bouée.
- 4'40 « Bill Clinton avait dit, devant Chirac et moi : c'était déjà très compliqué avant ; depuis l'arrivée des juifs russes, c'est devenu insoluble. ».
⇒ on parle ici de l'extérieur de la bouée.
Et Védrine de remarquer qu'il faudra quand même négocier un jour. Position logique venant d'un ancien ministre des affaires étrangères français : l'Europe catholique a une interface avec la bouée, contrairement à l'Europe protestante.
Derrière l'aggravation spectaculaire du conflit, il y a l'incapacité structurelle de l'extrême occident américain à se positionner de manière rationnelle vis-à-vis de son allié. C'est pourquoi il est parfaitement contre-productif de reprendre la rhétorique du « génocide » et les thèses décoloniales*, issues de l'écosystème intellectuel américain. Si les Palestiniens étaient vraiment des Peaux-Rouges, l'histoire serait terminée depuis longtemps.
Non, les Palestiniens sont majoritairement des musulmans, dans une région majoritairement musulmane. Et aucune paix ne sera possible tant que les musulmans européens (diplômés*) prendront en otage les sphères publiques européennes (voir fin de la notice explicative) en se comportant intellectuellement « comme des juifs » (voir Teaser).
Pour le reste, chantier en cours…
Sur la métaphore des interférences lumineuses, voir la page Homologies dans la matrice monothéiste
Prolongements de mon texte La sociologie est un monothéisme
(5 septembre 2024).
Julien Darmon, intellectuel juif orthodoxe formé à l'EHESS, aujourd'hui éditeur chez Albin Michel. Bon exemple de ce qui peut se faire de meilleur en termes d'adhésion consciente - une tradition qu'il dit toujours présente dans la société israélienne. Peut-être les djihadistes juifs auraient moins d'influence aujourd'hui, si les musulmans diplômés cessaient de s'exprimer par ventriloquie* (voir Teaser)…
On suspecte la société israélienne d’être embarquée dans une dérive fasciste - que le sionisme aurait pris 1967 comme le signe de son élection, etc.. Mais ces diagnostiques sont généralement formulés depuis une science sociale matérialiste, qui n’a simplement pas conscience de la matrice monothéiste, et qui ne perçoit pas la contrainte que le verrouillage idéologique des diplômés musulmans fait peser sur l’ensemble, via une sphère universitaire globalisée. On laisse les éditorialistes se vautrer dans la dénonciation du « frérisme », parce que l’appareil universitaire est incapable de diagnostiquer le problème en lui-même. Parce que la conscience intellectuelle musulmane surtout démissionne.
Mon diagnostique est que les musulmans diplômés, jusqu’à ce jour, n’ont pas rompu avec la complaisance post-coloniale qui régissait les rapports entre islam et sciences sociales - et ce malgré la césure de 2011, où le Moyen-Orient cherche un autre chemin (je renvoie à mon interprétation de 2011, fondée sur mon enquête à Taez).
Trop de complaisance encore entre la France Insoumise et le militantisme dit « décolonial »*, malgré les postures bravaches : une habitude de reporter sur l’extérieur les contradictions internes, qui déshonore l’islam, déshonore la gauche, qui déshonore en fait toute tradition sincère.
Les musulmans diplômés ont aujourd’hui cette responsabilité historique de confronter le camps laïc à ses contradictions. Car c’est bien le nœud du problème, comme le remarquait récemment Eyal Sivan, réalisateur franco-israélien :
« Les Israéliens rêvent que les Palestiniens en général disparaissent, que ça cesse. Leur sort ne les intéresse pas. (…) Que reprochent les laïcs aux religieux dans cette histoire ? Ils leur disent : “Nous ne voulons pas porter seuls le fardeau de la guerre. Ce n’est pas normal que nous seuls soyons les soldats et les assassins.” Les religieux veulent continuer à étudier et ne pas aller à l’armée. Si on s’oppose à cette guerre, ce sont les ultraorthodoxes qu’il faudrait soutenir. » (Mediapart du 2 septembre 2024).
Les Israéliens n’ont simplement pas les moyens de confronter le système international à ses contradictions, parce qu’ils restent un petit pays et parce qu’ils ne savent pas faire - même dans l’histoire des idées, ça n’a jamais été leur job ! Tant que les musulmans se comportent comme des juifs, la société israélienne n’a d’autre option que la fuite en avant.
« Nous n’avons pas de place dans nos cœurs, nous n’avons pas de place dans nos pensées. Nous ne voulons pas parler ou que l’on nous montre ce que nos soldats, nos enfants et petits-enfants, nos frères et sœurs, font en ce moment à Gaza. Nous devons nous focaliser sur nous-mêmes, sur notre traumatisme, notre peur et notre colère. »
Omer Bartov, « Ancien soldat de l’IDF et historien du génocide, j’ai été profondément troublé par ma récente visite en Israël », Guardian du 13 août 2024.
La plupart des commentateurs extérieurs de cette tragédie ne perçoivent pas la structure qui relieGB5, la configuration épistémique des rapports de force mondiaux. Mais même cet historien israélien, parmi les voix les plus critiques qui soient à l’égard d’Israël, en est réduit aujourd’hui à une forme d’adhésion aveugle, à la fin de son article :
« Depuis le retour de ma visite, j’ai tenté de replacer mes expériences dans un contexte plus large. La réalité sur le terrain est si désastreuse, le futur apparaît si sombre, je me suis laissé allé à de l’histoire contre-factuelle, l’espoir bien spéculatif d’un avenir différent. Je me demande ce qui se serait passé si l’État d’Israël nouvellement créé avait rempli son engagement d’établir une constitution basée sur sa Déclaration d’Indépendance ? Cette même déclaration qui précisait qu’Israël “sera fondée sur la liberté, la justice et la paix, telle qu’envisée par les prophètes d’Israël ; garantira l’égalité complète des droits sociaux et politiques entre tous ses habitants, sans considération de religion, de race ou de sexe.(…)”. Israël pourra-t-il jamais se réimaginer tel que dans la vision si éloquente de ses fondateurs - comme une nation fondée sur la liberté, la justice et la paix ? Difficile en ce moment de se laisser aller à un tel fantasme. Mais peut-être précisément parce que les Israëliens se retrouvent au fond du trou, et les Palestiniens plus encore ; précisément à cause de la trajectoire de destruction régionale sur laquelle leurs leaders les ont placés, je prie que des voix alternatives finiront par se lever. »
J’évoquerai aussi cette responsable de l’UJFP, l’Union Juive Française pour la Paix, avec laquelle j’ai eu l’occasion de discuter récemment. Me racontant une rencontre officielle à Gaza il y a quelques années, avec des responsables politiques cadres du Hamas, elle me confiait sa perplexité : « Ils n’ont aucune idée de ce qu’est un juif laïque… ».
Effectivement ils n’ont aucune idée, ils composent pragmatiquement avec toute aide qui leur vient de l’extérieur, sans adhérer aux valeurs, tandis que l’UJFP est dans l’adhésion aveugle, fidèle à son humanisme. Ça donne une alliance des carpes et des lapins, qui n’a aucune chance de peser sur le cours des choses.
En arrière-plan de cette situation, il y a le comportement intellectuel des musulmans diplômés, leur adhésion consciente aux règles du jeu intersectionnel*, qui empêche toute pensée musulmane réellement critique, c’est-à-dire réflexive*. L’intégration des musulmans aux institutions n’est-elle pas équilibrée aujourd’hui, au moins d’un point de vue numérique sur la minorité juive, favorisée dans la période coloniale ? Mais la démission intellectuelle est telle, les musulmans n’ont pas la moindre amorce pour articuler leur responsabilité collective dans cette situation. Et bien sûr, blâmer le complot capitaliste mondial est toujours plus facile : des positions militantes à l’emporte-pièce finissent toujours par combler le vide, même si le silence est privilégié en conscience par une majorité.