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Qui je suis?

Rentrée 2024

Vincent Planel, né à Paris en 1980.
Je suis anthropologue indépendant, spécialiste de la société yéménite, et plus généralement des rapports entre islam et sciences sociales.

Je suis également apprenti théologien depuis mon retour en Région Parisienne (2023), dans le sens où j’entreprends maintenant un cursus de sciences islamiques en bonne et due forme. La question qui m’occupe aujourd’hui est principalement de comprendre comment Allah nous parle à travers le Coran : question théologique par excellence, mais que j’aborde finalement de manière très « ethnographique »*, dans la continuité de mon parcours jusque là.

Formation

Je suis ancien élève de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm . Je suis entré en 2000 par le concours physique, mais j’avais commencé à apprendre l’arabe deux ans plus tôt (1998-1999), avec un camarade tunisien de maths sup. En juillet 2001 je découvre le Yémen avec les élèves de seconde année de la classe d’arabe, souvent littéraires, qui s’engagent tous dans des DEA et des thèses sur cette région du monde. À l’automne 2001, peu après les attentats, je décide de me réorienter vers l’anthropologie*.

Formé à l’Université Paris-Nanterre (Licence et Maîtrise) et à l’EHESS (DEA), je suis également marqué par l’esprit du Laboratoire de Sciences Sociales de l'ENS (qui a explosé peu après), notamment à travers le tutorat de Florence Weber. À partir de 2004 et jusqu’en 2012, je travaille sous la direction de Jocelyne Dakhlia, historienne et anthropologue de la Méditerranée musulmane. Je commence ma thèse à la MMSH d’Aix-en-Provence, où j’enseigne comme moniteur quelques années. Mon travail est récompensé en 2009 par le Prix Michel Seurat du CNRS.
Bref pendant environ dix ans, j’ai ainsi pu me former et faire de la recherche dans des conditions exceptionnelles, sans être un normalien véritable (littéraire*), sans la formation philosophique à la hauteur de mes ambitions.

À l’arrière-plan de ce cursus improbable, il y a une histoire familiale : un père disparu bien tôt, qu’on a enterré au fond d’une vallée tout au Sud de l’Île de France, au début de l’été 1999. Lui-même physicien, un esprit rationnel dans la force de l’âge, mais rattrapé par son cancer à l’âge de cinquante ans, et torturé jusqu’au dernier instant par des conflits qu’il voyait venir, son cercueil à peine recouvert de terre. Histoire terriblement banale, terriblement instructive aussi, pour le jeune homme à peine pubère que j’étais.

Taez 2003-2013 : une manip de sciences sociales

À partir de 2003, dans le cadre de mon cursus d’anthropologie, j’ai vécu plusieurs mois par an au Yémen et plus précisément à Taez, la troisième ville du pays, située à mi-chemin entre Sanaa et Aden. À l’époque une ville paisible, en marge des projets éditoriaux, mais qui fournissait au pays l’essentiel de ses diplômés.

Basé dans le quartier central de Hawdh al-Ashraf, à l’interface de la ville moderne et des anciens quartiers de l’imam, j’ai cherché à construire une compréhension de l’histoire sociale locale, articulée à des observations empiriques sur l’interaction et les parcours de socialisation masculine (je parlais à l’époque d’« homoérotisme »*). Mon travail témoigne en fait de ce qu’était l’ordre interactionnel de cette ville juste avant le basculement du Printemps Yéménite, dont Taez allait prendre la tête en 2011.

La spécificité de mon travail, qui n’apparaît pas forcément dans mes textes au premier abord, est d’avoir su débrayer à un certain stade, autour de 2007 (fin de deuxième année de thèse, et date de ma conversion à l’islam). Contrairement à beaucoup de chercheurs, j’ai su à un certain stade arrêter d’observer, déchausser mes lunettes de sociologue, sans rompre l’interaction pour autant (voir dans le glossaire la notion d'intuition*). Cette expérience m’a préparé à accueillir l’évènement des Printemps Arabes*, que j’interprète précisément comme un débrayage - ce que les sciences sociales n’ont jamais voulu admettre (d’où l’abandon de ma thèse en 2013).

Dans ma reprise d’écriture (fin 2017), j’ai essentiellement voulu expliciter les circonstances de ce débrayage, ses conditions de possibilités à la fois théoriques, intimes et relationnelles (section Comprendre du Wiki).
Mais l’essentiel de mes matériaux reste à ce jour inexploité - dans l’attente d'un retour sur place, qui sera peut-être bientôt possible.

Depuis le Djébel Sabir, le quartier de Hawdh al-Ashraf. La ligne de front qui traverse Taez depuis 2015, tracée sur une vieille photo.

Sète 2014-2022 : l’impossible réception

Après dix années de cette vie d’anthropologue, écartelé entre les sphères académiques et une expérience d’immersion strictement individuelle au Yémen, je m’installe début 2014 à Sète, petite ville portuaire près de Montpellier, dotée d’une importante communauté musulmane (essentiellement d’origine marocaine).

À Sète, il n’a jamais été question d’écrire une nouvelle thèse, ni même de tenir un carnet de terrain. Les seules traces sont ma contribution au mouvement Gilet Jaune (décembre 2018-mai 2019), puis au mouvement citoyen Alternative Sétoise (2019-2020). À Sète j’ai essentiellement rongé mon frein, spectateur impuissant d’une actualité nationale pathétique, et du cataclysme qui se déroulait parallèlement là-bas. Je me suis donc tourné vers l’Histoire (section Explorer du Wiki). J’ai surtout appris à comprendre les silences de la Communauté, à laquelle j’arrache finalement ma reprise d’écriture, fin 2017, pour replonger dans mon histoire yéménite.

Vue aérienne de Sète Le monde vu de Sète (zoom).

J’ai bien tenté d’être utile quelque part, dans la médiation sociale ou les questions de laïcité (section Valoriser du Wiki) ; être utile avec la nouvelle dont j’étais porteur, liée au Printemps Yéménite - à savoir la possibilité du débrayage. En pratique, je n’ai jamais pu travailler que comme prof de maths, et encore : après une merveilleuse année à Béziers en lycée pro, l’Éducation Nationale a éliminé mon profil au concours, l’année des attentats.

Cette compétence de débrayage, acquise sur le terrain yéménite, seuls les Gilets Jaunes ont su la valoriser. Pour mettre à plat les conflits, le mouvement avait besoin précisément de cela. Je l’ai vécu comme la confirmation d’un décrochement avec les sciences sociales, émanant cette fois de ma propre société. Message martelé par la suite auprès de la gauche locale (voir ici), malheureusement sans succès.

En 2022 je décide de m’expatrier en Arabie (Jeddah), avec l’espoir d’étudier, ou au moins d’enseigner à des musulmans. Je suis prof de sciences quelques mois, dans une école merveilleuse, mais qui s’apprête en fait à fermer. Je me retrouve finalement coincé en France, sans permis de travail, et vraiment pas l'envie de repartir sur un contrat d'expat. Grâce au soutien familial, j’étudierai finalement les sciences islamiques en Région Parisienne.

Épilogue

Quel était le conflit au fait ? Ma grand-mère voulait que son fils soit enterré dans le Sud de la France, où elle avait enterré son mari cinq ans plus tôt. Dans le culte qu’elle rendait au souvenir de son époux, la réunion des deux tombes était une question vitale. Pour ma mère, c’était vital qu’il soit au Sud de l’Île de France. Et mon père était d’accord, cette situation le rendait juste absolument malade, plus qu’il ne l’était déjà, comme si le cancer n’avait jamais eu d’autre cause. Mon père a été enterré, et chacune est repartie avec son souvenir, sa propre version de l’histoire.

Concernant l’échec de ma thèse, il y a deux versions aussi. Il y a ceux pour qui j’ai échoué à cause de Florence Weber (qui m’a aidé à écrire ma maîtrise, au retour de mon premier terrain), et ceux pour qui j’ai échoué à cause de Jocelyne Dakhlia (qui m’a aidé à formuler un projet de thèse, sur la base de cette déstabilisation homosexuelle). Or ce qui a produit la situation dont je parle sur ce site (), c’est évidemment la superposition des deux. Ce qui est en cause de mon point de vue, c’est plutôt la démission des hommes, singulièrement celle des musulmans diplômés*. Mais dans ma famille, chaque branche a choisi son camps, et les lignes n’ont pas bougé depuis…

Là est sans doute l’origine de mes réflexions sur la matrice monothéiste* - la perpétuation souterraine des guerres de religions européennes, derrière l’unité apparente des sciences sociales. C’est aussi pourquoi je m’insurge contre ces universitaires qui tentent de nous revendre les paradis « intersectionnels »* (voir glossaire), sous prétexte qu’« il ne faut pas hiérarchiser les luttes ». Je respecte les cheminements individuels mais, dans la bouche d’un musulman, cette posture relève du pur opportunisme intellectuel. Et l'on imagine régler ainsi le problème de l’islamophobie en France, et pourquoi pas soutenir la lutte des Palestiniens…

Je me tourne donc vers la théologie comme un dernier recours, et sans rien renier de mon parcours jusque là. J’avais déjà fait une tentative il y a quinze ans, pour retenir la sourate de la Vache : en fait je n’étais pas assez mûr. Rien n’est plus formateur que l’épreuve du débrayage, et je devais en faire l’expérience dans mon propre pays. Car il existe un rapport épistémologique* profond entre la parole coranique et le défi ethnographique* - l’épreuve que constitue l’énonciation d’une parole juste, dans une situation donnée : le Coran s’adresse à un circumstantial activist*. Est-il même possible de recevoir la parole d’Allah, indépendamment de la découverte de ce rapport ? Pour moi en tout cas ça n’a pas été possible, mais je le comprends seulement ces jours-ci.