23:14 “L’embryologie” coranique

✎ Tiré de sourate n°23 Les croyants  المؤمنون (mecquoise/médinoise, 118 versets).

À la pause-déjeuner d’une journée d’étude sur la traduction du Saint Coran, nous discutons d’un prétendu « miracle scientifique » (i’jâz ‘ilmî), dans les fameux versets 12 à 14 de la Sourate des Croyants (n°23) :

« Nous avons certes créé l'homme d'un extrait d'argile.
Puis Nous en fîmes une goutte de sperme dans un reposoir solide.
Ensuite, nous avons fait du sperme une adhérence ;
et de l'adhérence Nous avons créé un morceau mâchouillé ;
puis de ce morceau mâchouillé, Nous avons créé des os
et Nous avons revêtu les os de chair.
Ensuite, Nous l'avons transformé en une tout autre création.
Gloire à Allah le Meilleur des créateurs! »

Qu’est-ce que cela fait au sens quand, en lieu et place du « morceau mâchouillé » (mudgha), on introduit de force le mot « embryon », tiré de la biologie moderne ? Il y a quelque chose d’extra-ordinairement maladroit dans cette opération. Chez tout lecteur doté d’un minimum de sens critique, cela produit le sentiment d’une manipulation grossière, presque nécessairement.
Pourtant cette opération ne choque pas, elle fait consensus chez les musulmans, quelque soit d’ailleurs le niveau d’étude : « l’embryogenèse coranique » est un passage obligé (voir ici et là).

Je n’ai pas grandi à la campagne, mais je garde en mémoire les images d’un documentaire pédagogique sur l’embryogenèse de l’œuf de grenouille. Pour découvrir ces vérités scientifiques soi-disant miraculeuses, il suffisait de se pencher sur une mare (hawdh en arabe…).

Donc de deux choses l'une : soit les musulmans diplômés ne se sont jamais penchés sur une mare, soit (je me permets une interprétation psychanalytique…) les diplômés savent parfaitement qu'ils sont dedans!

Le thème des miracles coraniques ne serait-il pas une sorte de rite communautaire en lui-même, conçu pour conjurer quelque chose que la pensée musulmane peine à définir? Il semble bien y avoir consensus, en tous cas, pour voir ces images de cette manière (depuis l'intérieur de la mare) plutôt que du dessus (comme les Européens*). Serait-ce donc la véritable fonction du concordisme* : regarder en face l'épreuve du musulman diplômé* dans la matrice* de la modernité? Si c'est le cas, tant mieux…

Va pour la célébration de la science, à condition de ne pas verser dans le techno-paganisme et de ne pas oublier l'essentiel : quand Dieu nous parle de l’embryon, ce n’est pas pour exhiber un miracle scientifique, plutôt pour nous parler du Jugement Dernier : la vie d’ici bas n’est qu’une graine déposée dans la terre, appelée à germer dans l’Au-delà. On le voit par exemple dans la sourate du Renfrogné (n°80), à partir du verset 17 :

Périsse l’homme ! Comme il est ingrat ! Oublie-t-il d’où son Seigneur l’a tiré? C’est d’une goutte de sperme qu’Il le crée et fixe sa destinée ; après quoi, Il lui trace la voie à suivre pour le faire ensuite mourir et inhumer ; puis, quand Il voudra, Il le ressuscitera.
Eh bien ! Que cet homme, qui n’a pas encore accompli ce que Dieu lui a prescrit, considère aussi sa nourriture ! Nous faisons pleuvoir en abondance, puis Nous fendons profondément la terre et Nous y faisons pousser des grains, des vignes et des légumes, des oliviers et des palmiers, des jardins touffus, des fruits et des pâturages, pour vous en faire jouir, vous et vos troupeaux.
Mais lorsque surviendra le Fracas, le jour où l’homme fuira son frère, sa mère, son père, sa compagne et ses enfants, chacun ayant assez, ce jour-là, de s’occuper de son propre sort ; ce jour-là, il y aura des visages rayonnants, souriants et joyeux ; mais il y aura aussi, ce jour-là, des visages terreux et tout enveloppés de ténèbres. Ces visages-là seront ceux des impies et des corrompus. (80:17-42).