15 juillet 2023
Suite citation n°9 (voir accueil section Théologie).
⇒ Faire converger cette « théologie » batesonienne avec la théologie sunnite orthodoxe, c’est l’objectif que je me suis fixé depuis quinze ans.
Cet objectif, je me le suis fixé en lien avec des circonstances bien précises, à savoir qu’aucun interlocuteur musulman ne consentait jamais à se pencher sur mon histoire (à part bien sûr mes interlocuteurs du Hawdh). Une histoire dans laquelle pour ma part je ne voyais que justice, mais devant laquelle tous mes interlocuteurs fronçaient les sourcils, et opposaient une fin de non recevoir, dès qu’ils entendaient prononcer le mot « homoérotisme »*.
Et encore, je ne leur parlais même pas de Waddah à l’époque, j’essayais juste de partager l’histoire de mon cheminement, le rôle finalement positif joué par les faux semblants d’homosexualité. Un rôle positif et transitoire, j’insiste : à aucun moment de ma vie de musulman, je n’ai fait l’apologie de l’homosexualité en général ! À aucun moment je n’ai argumenté en faveur d’une éventuelle compatibilité entre islam et homosexualité : ils ne l’étaient pas dans mon cas personnel, un cas extrêmement spécifique, et je n’avais pas à me positionner dans ce débat.1) Je cherchais juste à partager rétrospectivement avec ces interlocuteurs - qui vivaient en Occident, je le rappelle - comment j’avais pu percevoir la société yéménite en amont de ma conversion. Et ça, ça leur était insupportable : à l’instant de ma conversion, j’étais censé tout oublier, vider entièrement la carte mémoire…
Ce n’est donc pas par esprit d’innovation, ou par perversité, si ma réflexion s’est développée sur des chemins originaux, dont l’articulation avec la jurisprudence reste encore à effectuer. Ce n’est pas que je n’ai pas cherché de maître : je n’ai fait que ça, mais je n’en ai pas trouvé !
« Dans chaque maison, on trouve des toilettes ! », finissait-on toujours par me dire, insultant implicitement ceux qui avaient porté témoignage dans le cadre de mon enquête. Et si je protestais, on me rappelait qu’en tant que musulman, je suis censé « dissimuler mes péchés ». Or j’y suis absolument prêt, s’il s’agit de se repentir des sciences sociales : à travers la critique batesonienne, je ne fais que ça à longueur de journée ! Mais en aucun cas je ne me désolidariserai du chemin qui m’a mené vers l’islam, et de ceux qui m’ont permis de le penser.
« Quant aux poètes (…), ne vois-tu pas qu'ils divaguent (…) À part ceux qui croient et font de bonnes œuvres, qui invoquent souvent le nom d'Allah, et se défendent contre les torts qu'on leur fait. » (Les Poètes 224-227)
J’ai toujours eu le sentiment qu’il y avait là une injustice profonde, sur laquelle j’ai affirmé mon intuition au fil des années. Injustice envers moi, mais surtout envers mes interlocuteurs : envers Ziad à l’évidence, et envers la dignité de Waddah. Non pas une injustice du Ciel, mais l’injustice de certains hommes envers d’autres hommes, de musulmans envers d’autres musulmans - en l’occurrence, de musulmans résidents en Occident envers des musulmans non-résidents. Une injustice dont je ne pouvais me rendre complice en tant qu’Occidental, d’autant qu’elle s’exerçait à travers moi : négation du Yémen et de la France tout à la fois, négation de l’islam en fait, par l’individualisme des musulmans diplômés.
Revenons à l’incident d’octobre 2003 - car c’est bien le nœud de l’affaire : comment entre moi et cette famille, cet incident a-t-il pu être le creuset d’une alliance d’enquête, qui m’a conduit jusqu’à l’islam ? Comment cet incident peut-il passer pour l’expression d’une justice ?
La justice apparaît dès lors qu’on replace l’incident dans un régime dualiste*
, qui était incontournable sur le moment : à la fois par les sciences sociales (deux mois que je creusais la terre dans ce quartier de Taez, en remplissant mes carnets de terrain…) et par le système politique (…muni bien entendu d’un permis de recherche des autorités yéménites !). Le dualisme se perçoit d’ailleurs dans les méandres qui conduisent à cette issue : voir la différence subtile du récit entre la page d’accueil (centré sur le renoncement à ma fausse pudeur) et l’index des moments (centré en fait sur une « proposition de viol »). Chacun de ces palabres, chaque méandre de l’histoire peut choquer isolément, mais la justice s’impose dans la vision d’ensemble (voir le dossier Waddah, je ne vais pas reprendre les détails ici). Si l’incident relevait d’une injustice, il ne serait pas dicible aujourd’hui.
Si injustice il y a, elle est plutôt chez ceux qui extraient délibérément l’incident de son contexte, et qui condamnent, au nom de la « morale islamique ». Injustice structurelle, chez ceux que j’appelle les musulmans diplômés : ceux qui sont installés en Occident, au coeur d’un système dualiste dont ils tirent leur subsistance - aux dépens des Yéménites, aux dépens aussi des non-musulmans sincères, dont ils compliquent singulièrement le chemin !
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