Table des matières
anticipation de mon retour en France (octobre 2007)
— Vincent Planel 2022/02/19 09:12— Je reproduis et commente ici quelques lignes de mon carnet de terrain, notes du 2007.10.07 (privé). Voir également Résumé pour Frédéric Joulian (octobre 2007).
"Déclarer mon islam" (extrait notes du 7 octobre)
Nous sommes aux deux-tiers de mon quatrième séjour, vers la fin du mois de ramadan, au début duquel je me suis converti à l'islam. À ce stade je suis sur un petit nuage…
J’ai donc quitté Mustafa [hier soir] avec un nouveau bonheur dans le cœur qui est allé rejoindre l’amas de bonheur qui se forme par accrétion de chaque astéroïde de bonheur sur un astre de Bonheur Général.
Le mois d'octobre 2007 est un moment de grande lucidité, où tout se clarifie dans mes rapports avec les Yéménites (je ne développe pas ici). La situation de mon enquête devient limpide, et aussi par ricochet le diagnostique général sur ma vie, dans mon propre pays. Dans ces notes, après être revenu sur le déroulement de la soirée précédente, je décris un rêve qui mélange le Yémen et la France, et j'en viens à anticiper mon retour en France, notamment les raisons pour lesquelles je dois “déclarer mon islam”.
On voit clairement dans cet extrait qu'il n'y a dans ma démarche aucune idéalisation de l'islam, aucun culturalisme. Le but de ma conversion est de rapatrier des enseignements généraux, puisés dans la société yéménite dans une démarche qui n'a a jamais été culturaliste, enseignements qui portent essentiellement sur la pudeur dans les rapports humains. Ceci afin d'atteindre une forme de lucidité et d'harmonie dans mes rapports avec mes compatriotes - à commencer par telle ancienne amie du lycée que je viens de revoir en rêve :
L’interaction avec J. me fait penser que c’est là l’origine de ma folie : je n’ai pas su aimer J., me mettre en couple avec elle alors que je l’aimais tant, juste parce que j’avais peur de ne pas la désirer. Incroyable cette histoire. Toute ma vie aurait été différente si j’avais su rentrer dans cette relation (et la sienne aussi sans doute). Peut-être maintenant que je me suis converti elle acceptera de me revoir pour un café. Je serai loin, l’islam mettra entre nous un objet qui rendra les choses gérables, comme l’arabe avec Mohammed Amine. Tiens !
“l'islam, un objet qui rendra les choses gérables entre nous”. Il suffit de remplacer “islam” par “monothéisme”, et le projet apparaît très cohérent : poser l'intuition monothéiste comme horizon de mes rapports avec les autres (comme l'apprentissage de l'arabe en 1999, sublimation de ma relation avec Mohammed Amine, rendue nécessaire par la pudeur).
Le monothéisme apparaît comme une sorte de “pile” à énergie positive, que je m'apprête à chevaucher dans mon propre pays :
C’est là que je dois trouver la force de déclarer mon Islam en France, sinon ça va être ingérable : déjà je vais perdre la foi parce que je n’oserai plus prier, de l’autre côté les gens vont tomber amoureux de moi sans la pudeur qu’il y a ici et je ne saurai pas gérer, je vais m’emmêler les pédales et je finirai par me soumettre à la conception française des relations, celle qui fait souffrir et douter. Et ce sera perdu.
Spontanément, je fais le compte de mes alliés, ceux dont je sais qu'ils comprendront ce que je suis en train de faire, et qui m'aideront à tenir le cap. Ici la notion de culture peut avoir un sens : je me tourne vers mes amis de “culture musulmane” :
Non, je dois m’entourer de Tahir, déjà lui proposer de venir avec moi à Dieulefit1), pour que nous faisions les prières ensemble, ainsi que de Nasser et d’autres Yéménites à Marseille. A Paris ce sera Samir, mais il ne prie pas… Tiens, je vais écrire à Nasser pour lui demander de venir, avec Nathalie et les enfants et la petite éventuellement, en lui expliquant la situation.
Que ces amis soient pratiquants ou pas, cela m'importe peu : moi je sais pourquoi je le suis, je sais l'intuition théorique qui me guide, que je dois stabiliser au plus vite :
Je sens qu’en fait je vais avoir besoin de rédiger ma thèse dans la foulée, pour pouvoir ensuite suivre le rythme, ou alors je ne le ferai jamais. Je dois la rédiger et ensuite négocier avec JD de la présenter comme ça, sans rajouter de la bibliographie de façade. Mais pour cela j’ai besoin de garder l’Islam. Je vais partir en Tunisie autour de Noël2), surtout si Momo y est encore.
J'espère alors rédiger ma thèse d'un seul trait, en cessant de m'articuler à la bibliographie existante, qui m'a encombré jusque là. Mais c'est bien légitime, puisque j'entre en troisième année de thèse.
Conclusion : les paramètres du problème
Comme on le voit dans ces quelques lignes, j'avais déjà clairement en tête les paramètres du problème, tel qu'il allait se poser toutes les années suivantes, et tel qu'il définit ma démarche jusqu'à aujourd'hui.
Seule différence notable : le remplacement du mot “islam” par le mot “monothéisme”. Celui-ci s'est opéré progressivement, à mesure que je surmontais les obstacles placés sur ma route par la société française - toutes les “conditions générales de vente”, tous les alinéas dans les notes de bas de page, dont on ne prend conscience qu'à partir du moment où l'on s'éloigne du chemin tout tracé. Je ne me suis jamais découragé, car chaque complexité supplémentaire renforçait en même temps mon intuition, quant au caractère anthropologiquement monothéiste de notre culture. D'où l'absurdité de l'hypothèse “islamophobe” : les objections sont dressées par la culture française en tant qu'elle est monothéiste, pas en tant qu'elle est idolâtre ou anti-islam.
À mon retour l'année suivante (août 2008), j'avais tout de même pris conscience de l'ampleur du problème, et donc aussi du caractère stratégique de mon alliance avec la famille de Ziad. Pourtant en 2007 je m'étais converti sur le carrefour, en fréquentant la mosquée du Koweit : je ne voulais pas réduire ma conversion à la folie de Ziad, ma crédibilité au Hawdh al-Ashraf était en jeu. Mais après cette première année d'adversité, je ne supportais plus l'insouciance du carrefour, sa vulgarité à mon égard me brûlait la face. Je m'installais dans une bataille au long court, qui ne pouvait avoir de sens qu'en m'alliant avec Yazid.
Voilà les paramètres, dont j'ai été toujours plus convaincu chaque semaine, chaque mois et chaque année. Au fond je n'ai jamais dévié de cette démarche, depuis maintenant quinze ans.
Ce jour-là, mes notes se poursuivent par une récapitulation de mes arguments théoriques (à coller ici : 2007.10 Résumé pour Frédéric Joulian). Et je conclus sur cette note optimiste :
Je vais être heureux. Je n’arrive pas à y croire. Tout ce dont j’ai besoin, c’est de quelques personnes avec qui vivre, n’importe qui, je saurai être heureux avec, pour me tenir compagnie. Je vais passer du temps à Dieulefit…
Retour octobre_2007