Le Za'îm Zelenski
Visionné hier sur le site France Culture, trois intellectuels dissertant de bon matin sur l'héroïsme du Président Ukrainien :
« Zelenski c'est nous. C'est l'Europe. C'est la démocratie… Ça me rappelle l'insurrection des peuples colonisés, pendant les guerres de libération nationale… »
Voilà atteint le dernier chapitre de l'ère post-coloniale : la parenthèse se referme sur le mode de la farce, par la victoire finale du pastiche.
Faut-il rappeler que les guerres de libération nationale n'étaient pas du théâtre? Que les combattants algériens n'étaient pas sur une scène, tentant d'activer à leur profit l'industrie du spectacle, mais qu'ils étaient des moudjahidin, mus par la promesse du Paradis des combattants? Que les troupes françaises en Algérie ne se souciaient pas de leur image, mais qu'elles rasaient les villages, violaient les femmes, et torturaient tous les hommes? Que l'armée française avait la férocité de l'honneur blessé, jouant le tout pour le tout, avant un retrait qu'elle savait définitif. Au contraire de l'armée russe aujourd'hui qui prend son temps, dans une bataille qu'elle est sûre de gagner, au sein d'une population liée à elle par des liens culturels étroits.
Invisible connivence
La connivence reliant les protagonistes de cette bataille, nos commentateurs ne la perçoivent pas. Durant plus d'un demi-siècle, le Moyen-Orient la leur a fait oublier. Après lesdites guerres de libération, les Européens se sont promenés dans des paysages exotiques peuplés de figurines - le bon commerçant du souk, le caïd local et le brave travailleur journalier… - en ignorant tout de ce qui tenait ensemble cette perception, ce qui la reliait à leur propre regard. Et sur cette situation postcoloniale, leur vision du monde s'est étalonnée.
Mais peu à peu, du sein de cette vision, ont commencé à apparaître d'horribles barbus - horribles comme le retour du refoulé. Alors confusément, l'observateur européen a commencé à craindre pour sa tête, à chaque instant de sa vie expatriée. Sur une réalité de plus en plus inaccessible, son regard a commencé à glisser, tandis que les figurines poursuivaient leur existence paisible, sous l'autorité d'un Za'îm : un Président en carton, dont personne ne se faisait d'illusion sur sa force militaire réelle, mais qui restait la clé de voûte d'une mise en scène, indissociable de l'intégration économique post-coloniale.
L'espoir au grand jour
Or voilà qu'un beau jour, en 2011, l'ensemble des peuples arabes se sont levés : non contre l'Occident, mais contre leur propre compromission dans cette hypocrisie. Durant des mois et des années, une population éduquée et non-violente a fait face à l'agression des appareils policiers et militaires. Il y avait des morts, que l'on nommait shahîd, « martyrs », animés par la promesse du Paradis des hommes intègres : la vision d'un avenir de prospérité dans un État de droit.
Mais cette vision si large, comment la faire tenir dans le langage des sciences sociales, maîtrisé par des étrangers? Comment l'intégrer aux petites figurines auxquelles croyaient les spécialistes? Les chercheurs, mal-à-l'aise, ont commencé à tortiller sur leurs chaises. Derrière tous les hommes, ils ont vu le spectre islamiste, et ils ont annoncé la guerre civile dès les premiers cortèges, quand rarement peuple avait été aussi soudé. Volontairement ou pas, ils ont maintenu au seul Régime le primat de l'existence : tantôt pour accuser l'homme fort de tirer les ficelles, tantôt pour louer sa présence comme rempart contre l'islamisme, et plus souvent encore les deux à la fois, sans souci de cohérence intellectuelle.
La révolution arabe s'est épuisée dans l'étroitesse des consciences occidentales, auxquelles elle était liée par le destin. La Russie de Vladimir Poutine n'a fait que s'engouffrer dans cette brèche, pour sécuriser ses accès stratégiques au Moyen-Orient. Elle a misé sur des régimes aux abois qui ne tenaient plus qu'à un fil, par la lâcheté bien comprise des élites internationales. Des villes sunnites ont été rayées de la carte, sans que l'opinion occidentale ne s'émeuve outre mesure : des petits bonhommes qui s'entretuaient là-bas.
Une trahison historique
Les peuples arabes ne demandaient pas l'appui militaire Occidental. Ils ne demandaient pas des livraisons d'armes, ils n'aspiraient pas à devenir la coqueluche des démocraties occidentales. Ils demandaient une sympathie minimum : la conscience que notre liberté se jouait aussi là-bas.
Au lieu de cela, les peuples européens se sont engouffrées dans les manipulations sécuritaires de leurs dirigeants, sur la base de faits divers ponctuels, générés pour moitié par leur incompétence. Tel jeune Toulousain, voyageant en Afghanistan aux frais de la Princesse, s'en prenant à son retour à des militaires engagés là-bas. Tel jeune Parisien parti un jour apprendre l'arabe au Yémen, et assassinant un temps plus tard quelques dessinateurs de presse : « Il s'est radicalisé là-bas! », affirment les commentateurs - et les spécialistes à leur suite pour vendre leur camelote : « Pays pauvre du Sud de la Péninsule Arabe, d'où fut planifié l'attentat contre Charlie… » Comme si les Yéménites, à la même époque, n'avaient pas d'autres chats à fouetter… Mais ils n'ont pas honte, et ils n'entendent plus rien, à force de dissimuler leur lâcheté derrière le « péril islamiste ». Et c'est tout notre contrat démocratique qui s'est définitivement rompu.
Voilà donc nos trois intellectuels, pérorant de bon matin :
« Zelenski c'est nous. C'est l'Europe. C'est la démocratie… »
Manifestement satisfaits de notre « démocratie », de la campagne présidentielle actuelle dans sa vertigineuse médiocrité. Sans doute imaginent-ils derrière eux le bon peuple français, communiant avec leur « émotion », avec leurs « galas » - et ce malgré l'arrêt annoncé du « quoi qu'il en coute », malgré la hausse vertigineuse des prix de l'énergie. On voit bien que ces chiffres ne signifient rien, que ces gens n'ont plus aucune conscience, la sénilité est totale : « Vous n'avez qu'à manger de la brioche - et vous n'allez tout de même pas vous plaindre : pensez aux Ukrainiens! »
Pendant ce temps l'armée russe s'installe, les Ukrainiens s'adaptent à une nouvelle donne, et nos derniers alliés patientent dans des pays arabes en ruine…