Islamophobie
Avec son meilleur ennemi « islamo-gauchiste », le terme fait l’objet d’une polémique extrêmement virulente dans le débat public français, depuis les années 2000 et surtout 2010. Pour le dire franchement, l’accusation d’« islamo-gauchisme » ne me dérange pas (j’ai le sentiment d’avoir toujours vécu avec) ; le terme « islamophobe » par contre me dérange énormément, et de plus en plus.
Si l’usage du terme pouvait sembler légitime dans la décennie post-11 septembre 2001, pour se prémunir contre l'importation de conflits étroitement liés à l’impérialisme états-unien, son usage semble beaucoup plus problématique dans la décennie post-Printemps Arabes : lorsqu'une bonne partie du Moyen-Orient sombre dans l’instabilité politique, avec une violence endogène qui devait nécessairement rejaillir sur les sociétés européennes. Car bien qu'extrêmement limités en réalité, au regard de ce qu’a traversé la région dans cette période, ces actes méritaient sans ambiguïté la dénomination de « terrorisme ».
Avec le recul, la promotion de ce terme apparaît comme une erreur stratégique majeure, voire un quiproquo tragique, dont il importe de saisir les origines structurelles. Car ce quiproquo a moins son origine dans la société française au sens large que dans le fonctionnement de la sphère académique, qui s’est saisie de ce terme précisément en 2011, pour lui donner ses « titres de noblesse académique ». Et ce, sur des fondements théoriques (« matrice du genre » et intersectionnalité*) qui auraient dû au moins interpeler les musulmans diplômés*.
Sur le fond, la querelle entre « islamophobes » et « islamo-gauchistes » me semble étroitement liée à la question des rapports entre islam et sciences sociales : symptôme d’une incapacité à traiter cette question, dans les institutions académiques comme dans le monde associatif musulman. Une incapacité structurelle, typiquement postcoloniale*.
Dans tous les cas, le terme paraît incompatible avec la « courtoisie monothéiste » que le Coran appelle de ses vœux, incompatible avec la vocation de l’islam à être une « communauté médiane ». Il m’importe peu de savoir si le terme fut introduit à l’origine par les défenseurs de la révolution iranienne de 1979 (comme disent ses contempteurs), ou par tel lettré du XIXe siècle : la croyance orthodoxe (‘aqîda) devrait nous interdire de l’utiliser en contexte européen*.