Valoriser mon approche en France

marianne-yeuxverts.jpg     Vue aérienne de Sète
2014-2022 : Le monde vu de Sète (Visuel HD)

Une conviction personnelle : le désir est la seule ressource des Européens*, pour nous extraire de la nuit où nous nous trouvons. Mais pas un désir frelaté, canalisé par nos matrices intellectuelles et nos réseaux sociaux : un désir plus profond, émanant de cette « prime nature » que les musulmans nomment fitra°. L’Islam* a partie lié avec ce désir, que nous le voulions ou non, en sa qualité de « communauté médiane » (ummatun wasata) - et bien que ce désir s’exprime parfois contre lui. Jamais le pacte laïque ne sera refondé sur l’ignorance, sans les propositions fortes avancées par chacune des théologies monothéistes qui ensemble ont façonné notre histoire, et qui façonnent encore le monde contemporain.

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L'Orient et la chambre de Ames
La France est un pays aux structures de parenté relativement simples (famille nucléaire), organisé sur des valeurs féministes* - comme Emmanuel Todd nous le rappelle régulièrement. Cela ne nous interdit pas de comprendre les autres, y compris la complexité du moyen-orientale, à condition de faire rimer féminisme avec réflexivité* : ne pas prendre nos désirs pour des réalités. Or c'est précisément ce qui se produit dans la période que nous traversons : chaque institution énonce son désir, exige de chacun de ses membres qu’il se l'approprie, et que cela soit la réalité. L’appareil sociologique a besoin d’un étalonnage, d’être ré-orienté

Argumentaire Valoriser (30 décembre 2022)

Cette section présente les applications de ma démarche dans l’éclairage du monde contemporain, ou plutôt le décryptage des messages qu’il nous fait parvenir : faits divers, problématiques sociétales, films et œuvres de fiction…

Dans ces situations diverses et variées, je décèle chaque fois « quelque chose qui cloche », un décalage du geste et de la parole, que cherche à surmonter l’auteur ou producteur du message : comment recoudre le réel avec du sparadrap. En fait, j’y retrouve les paradoxes dont j’ai fait l’expérience dans l’épreuve de cette thèse impossible : une caractéristique épistémologique* de notre époque postcoloniale* tardive.

Pour toucher du doigt cette caractéristique épistémologique, nous pouvons nous laisser guider par la question du genre dans la production des connaissances. À travers l’Orientalisme de l’époque coloniale, l’approche du Moyen-Orient était encadrée par des institutions intrinsèquement masculines (université, église, armée). Puis les sciences humaines ont connu un processus historique de féminisation, en même temps que les Décolonisations. Dorénavant, des femmes peuvent s’aventurer dans la compréhension de tous les univers sociaux, même ceux dominés par des hommes.

Dans les territoires anciennement colonisés, cette possibilité est garantie par des « régimes », dont seuls les Occidentaux ignorent qu’ils ne sont là que pour leurs beaux yeux - pour rendre possible leur regard, et l’accompagner avec galanterie. Encore dans les années 1950, l’imam Ahmad pouvait se permettre de faire des avances à une médecin française (comme le raconte Claudie Fayen). Un tel geste est inconcevable venant d’un Président, parce que l’État Nation joue là sa légitimité : on ne peut à la fois jouir du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », et jouir des personnes dont le regard permet de se constituer en tant que peuple.
Dans l’incident d’octobre 2003, il est absolument absurde d’imaginer que j’aurais pu être abusé, que l’intention aurait pu venir de Waddah (il aurait risqué sa tête…). L’intention venait nécessairement de moi, bien que mes représentations faisaient écran. C’est pourquoi la reconnaissance subjective de mon « homosexualité » était un préalable à mon retour sur le terrain (juin 2004), à la reconnaissance de mon sens de l’honneur, et à mon intégration dans cette société.
Je ne sais pas comment les autres chercheurs se sont débrouillés de cette contrainte : je sais seulement que beaucoup ont fini bunkerisés, en vertu d’une « menace » qu’ils étaient eux-mêmes missionnés pour évaluer. À la chute du Président, le mécanisme s’inverse : les institutions internationales mettent la société à feu et à sang, mais sans s’en apercevoir. Ces failles cognitives ne se révèlent qu’au moment de l’évacuation générale : lorsque les anthropologues sont hélitreuillés, flanqués de leurs informateurs.

Jusqu’à ce jour, la société française n’est pas consciente des brèches qui se sont ouvertes dans sa vision du monde. Aussi les gens attribuent-ils l’échec de ma thèse à une radicalité déraisonnable dont je me serais rendu coupable, par exemple dans mes rapports avec mes directrices de thèse. Pour valoriser la relation que j’ai construit avec Taez, je n’ai d’autre choix que de donner mon avis ici et là, en espérant qu'il soit un jour reconnu. Mais personne ne veut vraiment savoir comment l’ère postcoloniale a rétréci notre univers, en rétrécissant les modalités de l’ethnographie. Dorénavant on peut entrer sur le terrain par son concubin (Florence Weber dans le monde ouvrier), par son père (Jocelyne Dakhlia dans le Sud tunisien), mais pas en sortir comme je l’ai fait : par respect pour un homme, pour une famille, en vue d’une alliance ultérieure. Malgré l’engagement sincère de deux chercheuses éminentes, je n’ai pas pu négocier l’inscription de ma thèse dans le réel : ni avec mes collègues travaillant sur le Yémen, ni avec mes coreligionnaires musulmans. Ceci parce que les sciences sociales vivent une situation hégémonique depuis 50 ou 70 ans. Et par leur fonctionnement-même, les sciences sociales sélectionnent les études qui maintiennent l’illusion de leur cumulativité*.

La biologie a acquis sa scientificité - tout le monde l'a oublié aujourd'hui - en formulant patiemment des hypothèses sur les rapports entre phylogenèse et ontogenèse*. Pour nous, cela correspond à l’anthropologie historique (représentée ici par Jocelyne Dakhlia) et l’ethnographie réflexive (représentée ici par Florence Weber). Mais en sciences sociales, personne ne va se demander si ces deux démarches sont compatibles, si elles peuvent réellement être combinées. On attend que quelqu’un y arrive pour citer son étude, mais s’il n’y arrive pas on le considère comme fou. On laisse agir la « sélection naturelle », qui n’est que le reflet des règles académiques.

Plus rien ne pouvant s’opposer à leur hégémonie, les sciences sociales se montrent toujours plus réflexives, dans des horizons toujours plus rétrécis. Bateson pourtant nous prévenait déjà dans les années 1960 :

« Chaque nouvelle étape vers l'élargissement de la conscience éloigne d'avantage le système d'un état de conscience total » (citation n°3).

Fondamentalement, la synthèse entre ethnographie réflexive et anthropologie historique ne se résout que dans l’approche cybernétique*. Il faut se mettre aux prises avec les structures dans leur dynamique évolutive, d’une manière que seule peut pratiquer la théologie. Face aux défis actuels, les sciences sociales seront l’arène d’une laïcité repensée, ou elles devront se résoudre à mourir, décrédibilisées.

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