Dans le domaine de l'épigenèse*, les cas qui nécessitent une information nouvelle seront donc à la fois très rares et très nets. (…) Les exemples les plus célèbres nous sont fournis par l'étude expérimentale de l'embryogenèse des amphibiens. J'analyserai ici des phénomènes ayant trait à la symétrie qu'on peut observer dans l'œuf de grenouille : mais ce qui est vrai pour la grenouille l'est probablement aussi pour tous les vertébrés.
Il semble que, sans une information provenant du monde extérieur, l'œuf de grenouille non fécondé ne dispose pas de l'information nécessaire (c'est-à-dire de la différence nécessaire) pour déterminer un axe de symétrie bilatéral. L'œuf présente deux pôles distincts : le pôle animal, où le protoplasme l'emporte sur le vitellus¹⁾, et le pôle végétatif, où le vitellus domine ; mais il n'existe aucune différenciation au niveau des coordonnées de longitude (ou méridiens). En ce sens, l'œuf présente une symétrie radiale. (…)
S’il n'y a pas une certaine différenciation dans le sens de la longitude, l'œuf non fécondé ne peut pas « savoir » ou « décider » où se situera le plan de symétrie médian de la grenouille, animal dont la symétrie est bilatérale : l'épigenèse ne peut commencer avant qu’un méridien ne se soit différencié des autres. Heureusement, nous savons comment est fournie cette information décisive. Elle vient nécessairement de l'extérieur : c'est le point d'entrée du spermatozoïde. Le spermatozoïde pénètre dans l'œuf un peu en dessous de l'équateur et c'est le méridien passant par les deux pôles et le point d'entrée qui définit le plan médian de la symétrie bilatérale de la grenouille. La première segmentation de l'œuf suit ce méridien, et le côté de l'œuf par lequel le spermatozoïde est entré devient la face ventrale de la grenouille.
De plus, on sait que le message dont l'œuf a besoin n'est pas inscrit dans l'ADN ou dans d'autres structures complexes du spermatozoïde : une piqûre avec une fibre d'une brosse à poils de chameau peut faire tout aussi bien l'affaire. À partir d'une telle piqûre, l'œuf pourra se segmenter et, poursuivant son développement, devenir une grenouille adulte en parfaite santé, qui fera des bonds et attrapera des mouches. Elle sera, bien sûr, haploïde (c'est-à-dire qu'il lui manquera la moitié du stock normal de chromosomes). Elle ne pourra pas se reproduire, mais sinon sera parfaite à tous égards.
Un spermatozoïde n'est donc pas indispensable pour atteindre cet objectif. Ce qu'il faut, c'est un marqueur de différence, et l'organisme n'est pas exigeant. Mais sans marqueur, pas d'embryon.

⇒ Cette citation de Bateson m'a souvent servi à penser le rôle de Ziad dans mon enquête (pacte ethnographique), et plus tard à penser le phénomène monothéiste (ou peut-être les deux en même temps, de manière indissociable et simultanée : le monothéïsme m'a donné les moyens de ressaisir ce pacte en tant que pacte, et le pacte m'a donné les moyens de concevoir l'Alliance* - par exemple le verset 20:41 Je t’ai assigné à Moi-même).