L’histoire que je raconte est celle d’un physicien reconverti aux sciences sociales, qui essaie de comprendre où il a atterri, mobilise pour cela sa formation scientifique initiale, et découvre qu’il se trouve en fait dans une bulle.

Cette bulle recouvre beaucoup de choses.
Déjà à l’échelle de ma thèse (section Comprendre), elle recouvre à la fois :

• la société yéménite des années 2000, dont on sait aujourd’hui qu’elle était au bord de l’effondrement ;
• la condition d’observateur invité par le régime postcolonial*, ses privilèges structurels adossés à ses contradictions intimes ;

Mais en 2013, alors que cette bulle vient manifestement d’éclater, je dois abandonner cette thèse et redevenir un simple citoyen. Je découvre alors, en levant la tête du guidon, que cette bulle recouvre quelque chose d’encore plus large, à la fois :

• dans l’Histoire (section Explorer / le monothéisme comme métacontexte de l’histoire des idées) :
• dans le monde contemporain (section Valoriser / la démocratie minée par la stratification éducative).

L’autre subtilité, cette fois en amont de ma thèse, c’est que j’avais déjà découvert cette bulle une première fois, à la fin de mon premier terrain (octobre 2003). Un stade où j’étais absolument incapable de formuler cette découverte, et de toute façon ça m’aurait juste paralysé : il fallait que je rentre en France rédiger mon mémoire, acter enfin ma reconversion aux sciences sociales. Mais auparavant j’ai mis le pieds dans la porte, afin qu’elle ne se referme pas complètement - ce que Bateson appelle « faire un nœud à son mouchoir » (citation n°2) : pour se rappeler qu’on est dans une bulle, que le modèle n’est pas la réalité.
Cet acte homosexuel n’avait donc rien d’un « passage à l’acte » : c’était un geste de survie intellectuelle, plongeant au plus profond d’une éducation scientifique reçue de mon père, physicien expérimentateur. Cela, mes interlocuteurs yéménites l’ont toujours compris instinctivement - d’où leur comportement dans ces images du 17 novembre 2008. C’est le seul jour où j’ai sorti la caméra, et on les voit jouer autour, comme ils ont toujours joué autour de moi. Mais ces images, mes interlocuteurs en sciences sociales n’ont jamais voulu les regarder en face…