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L'intersexuation dans les débats actuels…
fr:valoriser:societe:intersexuation
Pour l'instant je déplace ici ce premier jet, rédigé il y a un mois
(placé initialement sur intersexuation
de Processus).
Rappel
La page contextes:intersexuation
, rédigée ces derniers jours (24-25 février 2023), traite de la notion d’intersexuation en tant que contexte culturel, en recensant les déclinaisons lexicales de la racine arabe (kh-n-th).
J’y propose une définition de l’intersexuation en tant qu’exception qui confirme la règle, par référence à une conception cosmique de la différence sexuelle qui lui est sous-jacente.
« Ho, les gens ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle et vous avons désignés en nations et tribus, pour que vous vous entreconnaissiez. » Coran 49:13 (trad. Hamidullah 1959).
⇒ L’intersexuation est un état, qui empêche de connaître et d’être connu.
Thèse épistémologique
La notion d’intersexuation repose sur une conception fondamentalement épistémologique de la distinction des sexes. Elle repose sur une vérité anthropologique fondamentale (qui a été effacée en Europe par le cartésianisme*) : toute connaissance commence par l’accord de deux personnes sur ce qui est considéré comme vrai. Toute connaissance humaine implique en premier lieu que deux personnes se reconnaissent mutuellement, qu’ils s’accordent déjà sur leur propre existence, et qu’une frontière soit respectée entre leurs intimités respectives.
Mais il est des situations où cet accord n’est pas possible, où les intimités ne se reconnaissent pas l’une l’autre, parce que l’un ou l’autre des protagonistes (éventuellement les deux) cherche en fait à « jouer sur les deux tableaux ». Il tente d’entretenir deux épistémologies à la fois, avec consciemment ou pas la volonté d’atteindre l’autre « par surprise ». Dans ce genre de situations, l’interaction ne peut que dégénérer dans un sens ou dans un autre, et le plus sage est d’éviter l’interaction tout court.
La notion d’intersexuation permet de qualifier cette situation à celui qui en fait l’expérience : elle rattache l’incident sexuel (vécu ou redouté) à un état qui lui préexiste, dont l’incident n’aura été que le signe extérieur. Qualification par cette racine (kh-n-th) avec toute une gamme de déclinaisons possibles, perceptibles dans le déploiement de la langue, dont mon étude a exploré l’usage.
Thèse essentialiste
La notion d’intersexuation (kh-n-th) ne repose donc pas sur une conception essentialiste de la différence des sexes - une conception qui définirait une essence mâle et une essence femelle, et qui utiliserait l’arme de la stigmatisation pour éliminer l’entre-deux. Contrairement à ce qu’on entend souvent, ce n’est pas cela qui fait tenir la notion : cela se passe d’abord à l’intérieur du sujet connaissant, confronté à un autre qu’il tente de connaître, avant même toute entreprise collective de stigmatisation.
L’intersexuation n’est pas objet de science dans les sociétés musulmanes, comme elle l’a été en Europe (ce qui a donné naissance à la notion moderne d’homosexualité - voir les travaux de Michel Foucault).
- Réflexe de défense d’un sujet plongé dans l’interaction, le rejet de l’intersexuation est précisément ce qui permet la relation, et cela ne peut être qualifier « d’essentialisme ».
- Inversement, l’attrait pour l’intersexuation dénote un oubli de la pudeur dans sa fonction épistémologique primordiale, et cet oubli ne peut conduire qu’à une vision essentialiste du monde. L’essentialisme qu’ils dénoncent est d’abord dans leurs propres yeux.
La popularité de cette thèse essentialiste, chez tant de nos contemporains, est un phénomène qu’il faut expliquer : qu’on ne peut pas traiter par la brutalité, sauf à en confirmer la pertinence par contre-coup. Mais en dernière analyse, l’attrait épistémologique de l’intersexuation relève de la contingence historique, tandis que sa répulsion épistémologique relève de la nécessité.
La situation postcoloniale tardive
Lorsque Lotfi se justifie de m’avoir enseigné « l’intersexuation de parole » (makhnatha al-laqf), il se situe implicitement à cheval entre ces deux thèses :
- Si l’intersexuation est valorisée, c’est uniquement comme compétence langagière, pas comme rapport au monde. Cette valorisation s’inscrit dans une finalité précise - « pour que le Français sache se défendre » - liée à des circonstances bien particulières. Lotfi ne suggèrerait jamais que l’intersexuation est bénéfique dans l’absolu, comme certains de nos contemporains.
- Mais en même temps, quand Lotfi prend cette initiative, il s’appuie implicitement sur une lecture essentialiste de la situation : le Français est féminisé dans son essence (par défaut il ne sait pas se défendre), tandis que le Yéménite est virilisé dans son essence (il attaque par défaut). Mon histoire relèverait dès lors d’une tautologie*, en vertu du viol fictionnel latent.
Or dans les faits, les circonstances réelles de ma déstabilisation sont bien plus complexes - je le sais bien au fond de moi, comme le sait son frère Khaldûn, qui a été témoin de mon premier terrain. À aucun moment, je n’ai subi ce genre de prédation : j’ai moi-même fait le choix de l’intersexuation en vue de mon retour en Europe, qui exigeait mon passage à l’écrit (voir la page et le dossier Waddah). La subjectivité qu’il s’agissait de défendre, à ce stade, n’était pas celle de l’ethnographe engagé dans l’interaction, plutôt celle du chercheur face-à-face avec ses carnets. D’où la thèse épistémologique que je défends aujourd’hui.
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