13 avril 2023
Dans cette première phase (2003-2008), tout se passe dans une boîte de Petri , la parcelle de vie sociale que j’ai pris pour objet.
Mais nous ne sommes plus à l’époque coloniale et il faut en prendre acte ! Cette boîte de Petri, ce n’est pas moi qui suis responsable d’avoir mis les Yéménites dedans ! La boîte de Petri m’est donnée par le Régime, à la fois par les sciences sociales et par les institutions yéménites (permis de recherche, etc. - voir la condition de Mansour). Cette boite de Petri est indissociable d’un ordre politique, qui est aussi un ordre interactionnel (voir les images d’Olivier Todd en 1967), et tout cela s’impose à nous. La seule liberté dont je dispose, c’est de choisir ce que je vais mettre dedans :
Tout ça n’est pas anticipé, bien évidemment. En tant qu’Européen*, j’étais tout à fait sincère quand je croyais possible de faire des rencontres dans une boite de Petri (i.e. à l’ombre des sciences sociales). On peut d’autant moins me le reprocher que tous les Yéménites du Hawdh al-Ashraf, par passion de la modernité, ont contribué à me maintenir dans cette illusion ! (et ce jusqu’à la fin de ce Régime°, 2011 compris). On ne peut pas dire non plus que je n’ai pas été scientifique, ou que je n’ai pas su respecter les gens. La preuve que mon positionnement ethnographique* a été cohérent, c’est qu’à la fin du processus je dispose d’un échantillon : l’histoire du Za’îm, la « schizophrénie » de Ziad. La preuve est que vingt ans plus tard je suis toujours là, et Ziad est toujours là-bas à s’agiter en se prenant pour Jésus.
Ma conversion à l’islam, c’est prendre acte qu’il existe autre chose que la boite de Petri : au-delà d'elle, un contexte fondamental à prendre en compte. C’est prendre acte que le partage d’une rationalité - entre deux matheux par exemple, comme Ziad et moi - ne suffit pas à rendre possible la rencontre : qu’il faut se placer sous les auspices d’un Évènement, le phénomène de la Révélation. Une mise en évidence empirique du monothéisme, par impasse de l’ethnographie réflexive*.
Ziad a fait le même raisonnement, sauf que pour lui l’évènement s’appelle Jésus - car il est persuadé que les musulmans ne me suivront jamais (je ne vous dit pas comme il m’a engueulé l’automne dernier, quand je me suis installé à Jeddah…).
Ce qu’il ne sait pas, ce qu’il ne peut pas imaginer sans doute, c’est qu’en fait jusqu’à présent je n’ai jamais fait appel à vous. Je n’ai jamais placé la boite de Petri sous vos seuls regards, à l’abri de la communauté, sous les auspices spécifiques de l’islam, comme je le fais ici.
Pourquoi je ne l’ai pas fait plus tôt ? Pourquoi j’ai laissé Ziad sombrer dans la guerre, et sa ville avec lui ? Je ne sais pas encore l’expliquer [voir introduction]. Mais ça concerne le trajet retour, l’histoire qui se passe ici (à Sète, à la Résidence Universitaire d’Antony…), l’Odyssée dont vous êtes les personnages, vous qui me lisez.
اللهم اهدنا فيما يرضيك يارب
واجعلنا من وسائل رحمتك
لا من الذين يصدون عن رحمتك ويبغون سبيلك عوجا
تقبل اعمالنا يارب.
اللهم آمين
Voir aussi : La théorie du Za'îm
(Chantier de février 2023, qui préfigurait cette section)