La boîte de Petri

13 avril 2023

Boîte de Petri Dans cette première phase (2003-2008), tout se passe dans une boîte de Petri , la parcelle de vie sociale que j’ai pris pour objet.

La boite de Petri  de toute ma recherche au Yémen (= mon « terrain »), centrée sur le carrefour du Hawdh et le quartier de ma première enquête

Mais nous ne sommes plus à l’époque coloniale et il faut en prendre acte ! Cette boîte de Petri, ce n’est pas moi qui suis responsable d’avoir mis les Yéménites dedans ! La boîte de Petri m’est donnée par le Régime, à la fois par les sciences sociales et par les institutions yéménites (permis de recherche, etc. - voir la condition de Mansour). Cette boite de Petri est indissociable d’un ordre politique, qui est aussi un ordre interactionnel (voir les images d’Olivier Todd en 1967), et tout cela s’impose à nous. La seule liberté dont je dispose, c’est de choisir ce que je vais mettre dedans :

  1. je peux choisir de m’intéresser à Ziad, même si mes interlocuteurs de l’université veulent me garder pour eux (début août 2003) ;
  2. quand Ziad tente de m’attirer à Sanaa (fin août), j’ai la liberté de ne pas comprendre, et de m’intéresser plutôt au quartier de Ziad ;
  3. quand Ziad perd la face dans son propre quartier (septembre), j’ai la liberté de faire évoluer l’objet des discussion (problématique du Za’îm) pour lui rester fidèle ;
  4. et quand Ziad décide finalement de se retirer dans son village, lorsqu’il sort délibérément de la boite de Petri et que Waddah s’avance comme seul repreneur (octobre 2003), eh bien j’ai la liberté de lui montrer mes fesses !
    (c'est-à-dire au fond, couper court à l'interaction)1)
  5. Enfin quatre ans plus tard, quand Ziad met le feu à sa propre maison le jour de mon retour à Taez (le 19 août 2007) - lorsqu’il se suicide socialement au beau milieu de ma boite de Petri - j’ai la liberté de me convertir à l’islam.
    (c'est-à-dire au fond, postuler la poursuite de l'interaction par-delà mon retrait, l'incertitude de l'avenir, éventuellement la mort).

Tout ça n’est pas anticipé, bien évidemment. En tant qu’Européen*, j’étais tout à fait sincère quand je croyais possible de faire des rencontres dans une boite de Petri (i.e. à l’ombre des sciences sociales). On peut d’autant moins me le reprocher que tous les Yéménites du Hawdh al-Ashraf, par passion de la modernité, ont contribué à me maintenir dans cette illusion ! (et ce jusqu’à la fin de ce Régime°, 2011 compris). On ne peut pas dire non plus que je n’ai pas été scientifique, ou que je n’ai pas su respecter les gens. La preuve que mon positionnement ethnographique* a été cohérent, c’est qu’à la fin du processus je dispose d’un échantillon : l’histoire du Za’îm, la « schizophrénie » de Ziad. La preuve est que vingt ans plus tard je suis toujours là, et Ziad est toujours là-bas à s’agiter en se prenant pour Jésus.

Ma conversion à l’islam, c’est prendre acte qu’il existe autre chose que la boite de Petri : au-delà d'elle, un contexte fondamental à prendre en compte. C’est prendre acte que le partage d’une rationalité - entre deux matheux par exemple, comme Ziad et moi - ne suffit pas à rendre possible la rencontre : qu’il faut se placer sous les auspices d’un Évènement, le phénomène de la Révélation. Une mise en évidence empirique du monothéisme, par impasse de l’ethnographie réflexive*.

Ziad a fait le même raisonnement, sauf que pour lui l’évènement s’appelle Jésus - car il est persuadé que les musulmans ne me suivront jamais (je ne vous dit pas comme il m’a engueulé l’automne dernier, quand je me suis installé à Jeddah…).
Ce qu’il ne sait pas, ce qu’il ne peut pas imaginer sans doute, c’est qu’en fait jusqu’à présent je n’ai jamais fait appel à vous. Je n’ai jamais placé la boite de Petri sous vos seuls regards, à l’abri de la communauté, sous les auspices spécifiques de l’islam, comme je le fais ici.

Pourquoi je ne l’ai pas fait plus tôt ? Pourquoi j’ai laissé Ziad sombrer dans la guerre, et sa ville avec lui ? Je ne sais pas encore l’expliquer [voir introduction]. Mais ça concerne le trajet retour, l’histoire qui se passe ici (à Sète, à la Résidence Universitaire d’Antony…), l’Odyssée dont vous êtes les personnages, vous qui me lisez.

اللهم اهدنا فيما يرضيك يارب
واجعلنا من وسائل رحمتك
لا من الذين يصدون عن رحمتك ويبغون سبيلك عوجا
تقبل اعمالنا يارب.
اللهم آمين

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Voir aussi : La théorie du Za'îm
(Chantier de février 2023, qui préfigurait cette section)
Cadastre du quartier de mon enquête et formule d'eulogie caligraphiée.

1)
Que le geste coupait court à l'interaction - coupait court à l'alliance, plus exactement - je le dis rétrospectivement. Dans ma subjectivité sur le moment, c'était un geste d'ouverture et de dialogue, répondant à sa « confession d'homosexualité »… J'ai déjà longuement analysé ce quiproquo dans le dossier Waddah.