L’incident d’octobre 2003 est une « transaction sexuelle » survenue à la fin de ma première enquête au Yémen. Instant du premier arrachement au terrain et du premier passage à l’écriture, c’est en fait le moment où je m’installe dans le point de vue sociologique. Cet incident a d’ailleurs joué un rôle crucial dans la déconstruction du point de vue sociologique opérée les années suivantes - ce qui me permet d’en dire aujourd’hui quelque chose d’utile.
⇒ Les principales pièces du dossier (ci-dessous)
Dans l’incident d’octobre 2003, deux injustices se font face, comme dans un miroir :
Le point commun entre ces deux injustices, ou plutôt le nœud qui les rassemble, c’est l’ambiguïté du rapport aux sciences sociales. En 2003, les Taezis se passionnent d’autant plus pour notre histoire qu’ils en comprennent déjà l’issue prévisible. Quant aux frères, c’est exactement pour les mêmes raisons qu’ils refusent de s’y plonger, même des années plus tard. Contrairement aux non-musulmans, qui se laissent facilement entraîner dans mon récit, les musulmans font valoir un droit de retrait, face à des sciences sociales dont ils connaissent déjà les biais.
Ainsi, musulmans du Sud et du musulmans du Nord peuvent s’identifier les uns aux autres, dans une solidarité instinctive face à la « perversité » occidentale. Sauf qu’en réalité, la situation n’est pas absolument pas symétrique :
Pour saisir le drame dont je parle, il faut avoir au moins la volonté de s’identifier aux protagonistes :
Dans ce drame, l’incident d’octobre 2003 fait fonction de point nodal : c’est l’instant de mon passage à l’écriture - donc le point de départ du récit - où l’écriture elle-même finit par revenir. En cet incident sexuel sur-déterminé, convergent ainsi toutes les contradictions collectives en amont et en aval, de mes premiers pas dans l’apprentissage de l’arabe (1999), jusqu’à l’impossible réception de mon travail malgré la guerre au Yémen, qui a motivé mon retour vers l’écriture ces dernières années : l’engagement d’un ethnographe multi-situé2) sur quasiment un quart de siècle.
Évidemment, il est beaucoup plus facile de traiter l’incident comme une vulgaire affaire de « déviance sexuelle », d’y voir un égarement strictement personnel, au prétexte qu’il n’existerait pas d’autre case dans le sommaire de la jurisprudence. Plutôt qu’envisager la dimension structurelle de l’incident, il est beaucoup plus simple de « tuer le messager ».3)
Sauf que pendant ce temps, les Yéménites ont fait du chemin. Eux qui ont dignement fait face les années suivantes, n’ayant jamais oublié l’injustice qu’ils m’avaient fait subir, ont en outre étés rattrapés depuis dizaine d’années par ces contradictions, dont ils ont payé le prix en ce bas monde. Il y donc une grande illusion dans le miroir de cette identification Nord-Sud, ce « destin partagé » d’une Communauté imaginée. Une illusion que les musulmans français pourraient bien se prendre au visage un jour, dans ce monde ou le suivant.
« مَتى أَوْحَشَكَ مِنْ خَلْقِهِ فَاعْلَمْ أَنَّهُ يُريدُ أَنْ يَفْتَحَ لَكَ بابَ الأُنْسِ بهِ »
ابن عطاء الله السكندري
Cette histoire m’a surtout appris l’infinie justice d’Allah dans la manière dont Il nous éprouve. Je l’ai compris à travers mon enquête : le monde répond selon le regard qu’on lui porte. J’endosse donc l’entière responsabilité des mots que j’ai posé sur cet incident, de mes maladresses, de mes échecs à témoigner dignement envers ceux qui ont témoigné pour moi. La prison de cette histoire m’est préférable à ce à quoi on m’invite, côté sociologues ou côté musulmans. Je remercie Allah de m’avoir guidé à travers cette épreuve, et je demande qu’Il me guide encore.
Sur l’incident lui-même :
Pour saisir la logique plus large de mon enquête :
Ma position sur « l’homosexualité » (s’il était nécessaire de la préciser) :
L’objet de ma demande : une réponse sur le caractère légiféré de ma focalisation sur cette affaire, au vu des circonstances évoquées dessus. Ayant apporté la preuve de ma pudeur, je souhaiterais qu’on me donne les moyens d’évoquer cette histoire dans les mosquées à des fins pédagogiques : afin d’expliquer la responsabilité du converti envers ceux qui ont porté témoignage, et plus généralement des musulmans les uns envers les autres.
Accueil (Atelier islam)