Table des matières
Présentation de mon Compte Rendu de 2006
Une pièce à conviction
Je rédige ce texte vers mai-juin, la période-même où se joue l’échec matrimonial de Ziad (il s’est marié le 8 juin, mais le mariage ne sera jamais consommé). Nabil décède six mois plus tard, et Ziad met le feu à mon retour l’année suivante. Ces circonstances pèseront à jamais sur la suite de mon travail : elles m’obligeront à chercher une issue théorique, sous-tendue par ma conversion à l’islam (septembre 2007), que je ne trouverai finalement jamais.
Mais dans ce texte, je suis en prise directe avec mon « terrain » et je m’exprime sans aucune contrainte, si ce n’est celle de mon « sur-moi » scientifique. C’est sans doute là que s’exprime le plus clairement la logique positive de ma recherche (notamment dans la partie centrale : « Perspectives de recherche : Boutades et questions de genre dans la sociabilité masculine »).
Ce texte est aussi un tournant dans mes rapports avec Jocelyne Dakhlia : jusque là, il n’a jamais été question de « genre », ni d’aucune confession personnelle. À l’inverse, ce texte admet d’emblée deux angles-morts :
- (C1.1) mon passage par l’homosexualité à la fin de mon premier séjour (octobre 2003), que j’évoque de manière très terre-à-terre, sans problématisation aucune.
Bref, je me mets à nu devant ma directrice - ou plutôt je fais preuve de réflexivité* : comme dans les trois pages de février 2004, annotées par Florence Weber, qui contenaient en germe toute ma maîtrise ; ces cinquante pages contiennent en germe toute ma thèse, et refondent ma relation avec Jocelyne Dakhlia.
La trame de ma thèse
Dans tout le reste, j’explore une hypothétique « dimension sexuelle de la vie sociale » - envisagée à partir d’une position intenable, dont je dissèque les contradictions dans les moindres détails. Quelle structure se dissimule à l’horizon de cette « dimension sexuelle » ? Je n’en ai encore aucune idée. Mais on constatera que mes rapports avec les Yéménites n’ont rien de sexuel sur le fond :
- chacune de mes relations structurantes y est décrite sans aucun filtre, et c’est en fait l’honneur qui est en jeu chaque fois.
(Je reprendrai chacune dans une page de ce dossier, afin de combler les lacunes de mon index des personnes). - le texte reste très auto-centré : il s’organise entièrement autour de mes scrupules méthodologiques, que je déploie avec une obsession impressionnante, comme si je savais déjà la gravité de mon geste.
Ce texte contient donc un témoignage direct, expliquant mieux qu’aucun autre texte pourquoi je me suis aventuré dans les questions d’homoérotisme* (qu’à l’époque je nomme encore « questions de genre »). Mais à mon retour cette conscience s’émousse, je m’installe dans une dissertation routinière sur « l’homoérotisme », qui n’a plus ni queue ni tête : le tâtonnement aveugle d’un « ethnographe voilé »…
⇒ Ce texte ne donne-t-il pas un contexte objectif à l’impuissance de Ziad ? Le mauvais œil n’est-il pas précisément la situation ethnographique décrite par ce texte, décortiquée ici avec une précision chirurgicale ? C’est mon intuition depuis le 19 août 2007, et c’est ce que je m’efforcerai de montrer dans cette section, par la reprise détaillée du texte.
D’une première lecture rapide aujourd’hui, je constate deux choses :
- La complexité que j’ai laborieusement reconstituée ces dernières années, je la décrivais déjà dans ce texte, sur de très nombreux points.
- en même temps, je suis frappé par certaines erreurs d’interprétations, tellement grossières qu’elles me paraissent délibérées (par exemple p.39, quand je parle d'une « culture citadine encore relativement pauvre » - contrairement à ce que j'explique dans mon texte de 2012 le Reveil des Piémonts : c'est qu'Ahmad le Jinn était en arrière plan…).
Mais l’irruption de la tragédie était indispensable, pour que ma démonstration ethnographique fasse sens.
Circonstances de la mise en ligne
Je décide la mise en ligne le 4 juin 2023.
À l’origine, ma motivation est de simplifier mes rapports avec l’Institution. Car mon travail se construit à l’articulation de deux injustices :
(1) l’injustice de la société qui accule l’ethnographe à traiter sur le terrain sexuel ;
(2) l’injustice de l’Institution qui refuse de comprendre ce dont elle le fait parler - en l’occurrence, de genre et de masculinités…
Mais ces injustices sont celles de la vie en général, entre lesquelles tout individu doit cheminer.
Donc une part substantielle de ce wiki est consacrée à trouver des excuses à Waddah d’une part, à Jocelyne Dakhlia d’autre part, pour montrer que les obstacles sont plus structurels. Afin de lever toute ambiguïté concernant cette dernière, je publie aujourd’hui le rapport rédigé à la fin de mon troisième terrain.
J’ai travaillé sous la supervision de Jocelyne Dakhlia pendant presque huit ans (2004-2012) : une direction contre-intuitive, éprouvante pour moi et sans doute aussi un peu pour elle, mais dont j’avais besoin. En fait dès la soutenance de mon DEA, la direction avait déjà tourné court, mais je l’ai relancée par ce compte-rendu. En somme, j’embarquais Dakhlia dans mon secret : je lui révélais des choses que je ne révélais pas dans mes écrits publics (je ne l’ai fait que ces toutes dernières années), de sorte qu’elle ne pouvait y faire référence. Se mettre à nu devant l’autre implique toujours une forme de manipulation. Mais il y avait un enjeu, que l’on comprendra en lisant ces pages : ces incidents avaient bien vocation à être rendus publics, une fois leurs implications découvertes. Finalement, seule l’Histoire nous les a fournies.