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Table des matières
La matrice monothéïste
Théorème de l'enchantement ethnographique :
Reprise du schéma dans l'histoire des idées :
Comment se fait-il que ma recherche des années 2000, ultra-localisée sur le carrefour de Hawdh al-Ashraf, m'ait donné accès à la compréhension d'un certain nombre de problèmes fondamentaux de l'histoire des idées? Est-ce parce que je suis devenu musulman? En tant qu'anthropologue je ne peux pas le dire ainsi, d'un point de vue laïque. Donc je pose plutôt l'hypothèse d'une matrice monothéiste, explicitement à l’œuvre à l'époque médiévale - notamment sur le problème des rapports entre raison et révélation*, dont a émergé l'objectivisme européen - et toujours sous-jacente aujourd'hui.
Cette page reprend certaines entrées du Glossaire, pour éviter les redites.
L'hypothèse schismogénétique
Dans les premières années de ma thèse, j'essayais de saisir la différenciation des groupes sociaux par “schismogenèse”* (c'est-à-dire par interactions cumulées) afin de mieux comprendre l'histoire sociale de Taez.
J'ai repris cette hypothèse dans les années 2010, cette fois à l'échelle de l'aire culturelle monothéiste - pour expliquer l'enlisement de ma thèse, l'échec des Printemps Arabes, les affaires terroristes, etc..
D'où la définition proposée ici :
Matrice monothéïste
(Définition du Glossaire)
Système homéostatique* constitutif de la civilisation monothéiste*, conçu pour maintenir la vérité de propositions dogmatiques concurrentes au sein d’un écosystème intellectuel* partagé.
La matrice monothéiste recouvre l’ensemble des rapports schismogénétiques* entre ces traditions concurrentes, quelque soit leur niveau logique*. Elle se manifeste par la diffraction des figures prophétiques* et des conceptions de l'Alliance* dans les traditions interprétatives et dans les situations du monde contemporain.
En combinant le point de vue surplombant de l’anthropologie et de l’histoire avec les points de vue internes aux traditions religieuses, l'étude de la matrice monothéiste permet de renouveler la neutralité laïque.
Dossier “Matrice Monothéiste” (2024)
L’anthropologie monothéiste (2023)
La matrice monothéiste (2022)
Gerard Delille
(…) / Glossaire
Histoire de la Raison
Dans cette entrée du glossaire, j'ai repris quelques faits bien connus des historiens médiévistes, relatifs à la traduction des termes savants, mais en insistant sur les contraintes théologiques sous-jacentes - ce que j'appelle la matrice monothéiste.
Raison
(entrée du Glossaire)
Le terme latin ratio signifie initialement calcul, ou méthode. Mais pour prendre son sens actuel de raison (qui existe dans toutes les langues européennes), il s’est trouvé investi de l’héritage intellectuel grec à travers deux chemins bien distincts, l'antique et le médiéval. Récapitulons cette histoire :
- Mais avec l’irruption du christianisme, le terme grec logos est préempté dans son sens non-philosophique ordinaire : on parle de la Parole de Dieu, apportée par Jésus et les prophètes du judaïsme. Les deux usages sont incompatibles, si bien que la tradition philosophique s’éteint progressivement.
- La révélation coranique apporte un nouveau déplacement : Jésus n’est pas le fils mais seulement le mot de Dieu, kalimat Allah (كلمة الله) - voir versets 3:45 et 4:171. Les mots ainsi désintriqués, théologiquement et linguistiquement, l’activité philosophique peut renaître dans une tradition d’expression arabe.
En problématisant les rapports conflictuels entre Philosophie* et Révélation, les penseurs musulmans travaillent pleinement l’hypothèse philosophique du noûs (νοῦς), l’Intellect gouvernant le monde (que les Grecs n'ont jamais confondu avec le logos), qu’ils expriment par la notion arabe de ‘aql (عقل). - Mais pour traduire ‘aql, lors des grandes traductions latines du XIIe siècle, c’est encore ratio qui est utilisé. Dès lors, le terme latin est investi de deux notions grecques distinctes - à la fois le noûs et le logos - ce qui relance la question des rapports entre Raison et Révélation (scolastique).
- Au XVIIe siècle, l’absolutisme européen se cristallise dans la pensée de René Descartes (m. 1650), avec son fameux mot d'ordre : « Je pense donc je suis » (Cogito Ergo Sum)*. C’est la naissance du rationalisme européen, dont la filiation est indissociablement chrétienne et musulmane : puisque je m’identifie à Jésus (qui est le mot de Dieu), ma pensée (logos) est aux prises avec l’Intellect du Monde (noûs).
En pratique cependant, le dualisme* cartésien ne fonctionne vraiment que dans le domaine des mathématiques… Face à Descartes, Blaise Pascal (m. 1662) souligne le paradoxe par son aphorisme bien connu : « Le cœur a ses raisons (noûs) que la raison (logos) ne connaît point… »
L'Islam comme métacontexte
Pour pointer les conséquences interactionnelles de cette histoire longue, dans un monde contemporain dominé par les institutions européennes, j'ai pris l'habitude de remarquer :
L'Islam est un métacontexte de l'histoire des idées européennes.
Voir argumentaire sur mon ancien site : Métacontexte : un antidote à la « dette civilisationnelle » (2021).
Métacommunication
(définition du glossaire)
Relativité des monothéismes
Mon observation sur « l'islam comme métacontexte » est utile pour penser la condition intellectuelle du musulman dans le monde contemporain. Mais ce n'est là qu'un des différents point de vue possibles sur la matrice monothéiste :
- Le judaïsme est aussi un métacontexte du christianisme,
- christianisme et judaïsme sont métacontextes de l'islam.
- Et dans l'autre sens également : le christianisme un métacontexte du judaïsme (plus subtile).
En fait tout dépend ce qu'on appelle judaïsme, christianisme, islam. L'important est de ne pas chercher à définir des essences propres à chaque tradition, plutôt pointer des relations structurantes dans l'espace anthropologique.
C'est ce que j'essaie de faire avec mon code couleur, où en principe aucun monothéisme n'a sa place définie à l'avance. Par exemple sur le schéma du Bernard l'ermite, l'Europe est en rouge par contraste avec Aristote en bleu, mais l'Europe n'est pas le christianisme, et l'Islam (avec une majuscule) n'est pas l'islam (avec une minuscule)*.
L'islam est en vert quand j'évoque mon cheminement ethnographique, mais pas nécessairement dans l'absolu.
Chantiers
- … et mes “excursions en pirate” de la section explorer.
Autres entrées pertinentes du glossaire
Anthropologie de l’islam
L’anthropologie de l’islam est l’institution qui promeut l’étude de l’islam* en tant que fait culturel, en l’extrayant artificiellement du fait culturel monothéiste*, seule entité vraiment pertinente anthropologiquement.
L’anthropologie de l’islam est une fiction historique, qui traite l’islam au même niveau logique que les Indiens d’Amérique ou les Aborigènes, comme si l’Europe* avait rencontré l’islam lors des Grandes Découvertes du XVIe siècle ou l’expansion coloniale du XIXe.
L’anthropologie de l’islam est une erreur épistémologique profonde, qui se ramène à une erreur de type logique* : on fait comme si on pouvait faire l’anthropologie de l’islam, sans faire l’anthropologie de l’anthropologie elle-même.
L’anthropologie de l’islam est une tendance, étroitement liée à la disgrâce de la tradition Orientaliste et au rôle des sciences sociales dans le nouvel ordre postcolonial* : un « fait social total »* propre à notre époque, dans lequel les différents instituts de recherche tentent de se positionner tant bien que mal.
L’anthropologie de l’islam est cette institution qui se réclame de l’islam pour ne pas faire d’anthropologie, et de l’anthropologie pour ne pas écouter les musulmans.
(Voir aussi l'entrée : Anthropologue-musulman)
Europe
En tant que « zone culturelle » (comme disent les anthropologues), l’Europe doit être clairement distinguée du christianisme. Les historiens s’accordent à dater l’émergence d’un sentiment européen autour de l’An Mille : avec les Croisades (dont les chrétiens de Constantinople font les frais autant que les musulmans) et avec la fondation des premières universités (au nord et au sud de la Méditerranée).
Du point de vue de la genèse historique*, l’Europe doit être définie comme une mutation de la chrétienté latine en contexte islamique - i.e. survenue à une époque où l’Islam* est à son rayonnement civilisationnel maximum. La science historique n’a aucun doute là dessus, même si cette réalité prend à rebours tous les récits construits depuis la Renaissance, qui fondent notre identité.
L’Europe est une entité qui - un peu comme un Bernard l’Ermite - s’invente une filiation imaginaire à une autre culture, la Grèce antique, dont elle ne sait pourtant lire les textes qu’à travers les sources arabes. C’est dans cette affaire - la fameuse « transmission arabe d’Aristote » - que se scelle le destin européen, beaucoup plus que dans la partition de l’Empire Romain (IVème siècle), comme le racontent les livres d’école. L’Europe est le nom de cette condition épistémique très spécifique, qui ne concerne même pas nos voisins orthodoxes (eux n’ont jamais cessé de lire les textes grecs…), dans laquelle nous sommes les seuls à être vraiment pris.
Voir aussi l'entrée #Occident
Le monde propre du Bernard-l'ermite
Poutine et "l'Empire du Mensonge"
(…) / Glossaire
Prophète
L’islam perçoit l’ensemble des figures prophétiques comme découlant d’un archétype unique, que le texte coranique introduit par un système de références croisées. Il n’y a jamais un livre par prophète comme dans la bible hébraïque (à l’exception de la sourate de Joseph/Yûsuf, n°12). Le Coran fonctionne plutôt par des allusions, toujours lacunaires, dispersées en fonction des sujets abordés ou rassemblées dans une vision récursive (comme dans la onzième sourate, Hûd, la plus accessible pour saisir cet archétype). Mais ce fonctionnement est déjà perceptible dans les Évangiles vis-à-vis de l’Ancien Testament, ainsi que dans les traditions interprétatives du judaïsme, antérieures ou postérieures.
En comparant les portraits retenus dans les différents textes bibliques, ou élaborés par les traditions interprétatives, on constate des déplacements toujours significatifs (matrice monothéiste*).
Alliance
Aussi bien dans la Bible hébraïque que dans les Évangiles ou le Coran, les rapports entre Dieu et l'humanité sont énoncés en termes d’alliance , centrées sur des figures prophétiques*. C’est dans ce cadre conceptuel que les traditions monothéistes s’opposent les unes aux autres, certaines alliances étant considérées comme obsolètes, d’autres étant considérées comme inventées.
Les tensions de cette matrice monothéiste* ayant été le moteur de l’histoire des sciences*, elles restent décelables dans les situations du monde contemporain - notamment la situation ethnographique (alliance d’enquête*).
Dans la méthodologie de l’enquête ethnographique, l’alliance d’enquête désigne les personnes rencontrées sur le terrain, qui s’investissent personnellement pour que l’enquête aboutisse. On trouve aussi le terme « informateurs », remontant à l’ethnographie coloniale, où le rapport était fondé sur une rémunération monétaire. Mais à l’ère postcoloniale*, l'allié s'investit aussi en tant qu'indigène*. Il faut expliciter ce que chacun y trouve : l’analyse des alliances d’enquête est une étape obligée, pour toute enquête qualitative prétendant à une forme de rigueur scientifique.
Faute d'accord sur l'explicitation de l'alliance d'enquête - comme entre Ziad et moi - on retombe sur l'Alliance* au sens monothéiste…
Alliance d'enquête
Dans la méthodologie de l’enquête ethnographique, l’alliance d’enquête désigne les personnes rencontrées sur le terrain, qui s’investissent personnellement pour que l’enquête aboutisse. On trouve aussi le terme « informateurs », remontant à l’ethnographie coloniale, où le rapport était fondé sur une rémunération monétaire. Mais à l’ère postcoloniale*, l'allié s'investit aussi en tant qu'indigène*. Il faut expliciter ce que chacun y trouve : l’analyse des alliances d’enquête est une étape obligée, pour toute enquête qualitative prétendant à une forme de rigueur scientifique.
Faute d'accord sur l'explicitation de l'alliance d'enquête - comme entre Ziad et moi - on retombe sur l'Alliance* au sens monothéiste…